L’expansion des médias numériques en Amérique latine

La Colombie, le Brésil, le Pérou et d’autres pays prennent leur envol

Ayant récemment été invitée à Bogotá pour livrer une présentation sur les pratiques transmédia, j’ai appris dans le cadre de ma recherche que l’industrie latino-américaine des médias évolue rapidement. Mue par des taux de pénétration d’Internet en hausse, la prolifération de téléphones intelligents encouragée par les subventions accordées par les compagnies de télécommunications et des initiatives gouvernementales visant à réduire le coût de la transmission de données dans des pays comme le Pérou, le Brésil et la Colombie, l’Amérique latine devient beaucoup plus intéressante pour les créateurs et producteurs de contenu, dont plusieurs connaissent déjà leurs paysages saisissants et les crédits d’impôt qu’ils offrent à l’industrie cinématographique. Compte tenu de ses traditions de storytelling fortement enracinées et de la possibilité qu’il offre d’atteindre des millions de nouveaux consommateurs, ce vaste marché offre un potentiel qui ne passe pas inaperçu.

Plus tôt cette année, Netflix a annoncé sa première production originale en langue espagnole. Il s’agit d’une série mexicaine en 13 épisodes qui sera diffusée en 2015 et reflète l’intérêt que suscite le contenu original dans des marchés locaux.

Scène d’un boom sans précédent du marché des téléphones intelligents, l’Amérique latine occupe aujourd’hui cinq des dix premières positions pour ce qui est du temps consacré aux médias sociaux. Les Brésiliens y passent plus de 13 heures par mois, tandis que les Colombiens y consacrent près de six heures. Dans une région donnée, 95 % des internautes ont adopté les réseaux sociaux et Facebook a la cote d’une majorité de ce pourcentage très élevé. Personne ne devrait donc être surpris d’apprendre que l’entreprise a annoncé sa première agence mondiale en Amérique latine aux Lions de Cannes 2014.

L’avantage du précurseur à l’échelle locale plutôt que mondiale

Square Enix, la société japonaise de production de jeux ayant mis en marché des poids lourds comme Final Fantasy et Tomb Raider et exploitant des installations en Europe, en Amérique du Nord et en Extrême-Orient, a ouvert sa filiale latino-américaine à Mexico à la fin de 2012. Fait intéressant, la société cherche à développer et à soutenir des personnes de talent et des entreprises afin qu’elles puissent évaluer quels jeux susciteraient un intérêt local plutôt que mondial. Cette approche rafraîchissante diffère de celle prônant l’exploitation de la main-d’œuvre bon marché qu’offrent ces territoires. Dans le cadre d’une entrevue accordée à gamesindustry.biz, Igor Inocima, qui dirige Square Enix LatAm, a fourni l’explication suivante : [traduction] « La plupart des jeux qui sont populaires ici le sont également aux États-Unis et en Europe. C’est notamment le cas des jeux de tir et des jeux d’action. Mais voici maintenant une formule qui pourrait s’avérer particulièrement efficace ici. C’est une des choses que nous tentons de déterminer. Par exemple, pourquoi est-il que les jeux de rôle n’ont pas vraiment la cote auprès des joueurs ici? Est-ce parce qu’ils ne s’identifient pas à l’histoire ou que l’environnement est trop loin de leur réalité? Nous expérimentons donc avec certaines combinaisons à la recherche de quelque chose que nous n’aurions pas encore essayé. Mais, d’abord, nous devons étudier comment ça fonctionne. »

Bien qu’il reste à voir si cette stratégie à long terme aura la chance qu’elle mérite de faire ses preuves (une nouvelle structure de gestion d’entreprise a mené à la récente fermeture de la filiale indienne de la société à la suite d’une mission similaire), elle pourrait bien s’avérer un modèle intéressant pour d’autres secteurs de l’industrie.

« Je me rends à Bogotá et à Mexico depuis quelques années maintenant et j’y observe une industrie des médias qui est très sensibilisée aux débouchés qu’offrent les nouvelles plateformes et technologies et qui adopte rapidement de nouveaux modèles », affirme Caitlin Burns, producteur et stratégiste multimédia basé à New York. Elle a travaillé sur plusieurs projets à grand déploiement, dont ceux de Pirates of the Caribbean et d’Avatar.

Des projets qui suscitent un intérêt particulier incluent Susana y Elvira, qui est devenu un des blogues les plus lus en Colombie. Raconté par les alter egos des fondateurs de Siete y Ocho de Bogotá, ce blogue explore notamment les amours et la vie des deux amies. S’adressant aux jeunes femmes âgées de 20 à 30 ans, les auteures ont réussi à se constituer un lectorat fidèle en tirant parti des canaux de médias sociaux depuis la mise en ligne de leur blogue en 2008. Ce blogue primé compte aujourd’hui quelque 200 000 lecteurs par mois, et Mimosa TV l’a adapté en 2012 pour en faire une série Web qui connaît un énorme succès. Maintenant à sa troisième saison, cette série est la plus regardée au pays.

Repenser le développement

Également d’origine colombienne, le documentaire Web interactif El Charco Azul suit la vie et les rêves d’une famille qui vit près d’une voie ferrée ne menant nulle part sur la côte pacifique de la Colombie. La réalisatrice Irene Lema a opté pour un format numérique (ce qui est très inhabituel dans le marché colombien) après avoir observé comment les collectivités dans cette partie très isolée du pays utilisent les cafés Internet comme espaces sociaux. En effet, très peu de personnes ont une connexion Internet à la maison et ils se réunissent donc dans les cafés pour regarder ensemble du contenu en ligne. Cette expérience communale nous force à revoir nos notions classiques du visionnement en ligne. Le projet est coproduit par Señal Colombia, la chaîne publique de télévision et de radio qui prend progressivement le virage multimédia en recourant à des applis et des jeux pour promouvoir sa programmation et plancher sur des coproductions internationales.

Charco azul

À bien des égards, il est erroné de faire référence au marché latino-américain. L’Amérique latine est en fait constitué de nombreux marchés individuels. Il sera essentiel de développer une compréhension innée de ces différents paysages médiatiques afin de réussir à produire du contenu pertinent étant donné qu’aucun format universel ne plaira à l’ensemble de ces marchés individuels. Malgré les défis à relever, il sera intéressant d’observer l’évolution qui s’ensuivra et le degré de succès que connaîtra la région à tirer parti des possibilités offertes par le transmédia et la convergence.


Tishna Molla
Tishna Molla est agente de cinéma, productrice et consultante à Londres, au Royaume-Uni.
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