Accessibilité des événements de cinéma: un nouvel outil pour recueillir des données
Les festivals et événements de cinéma au pays disposent maintenant d’un nouvel outil pour favoriser l’inclusion et l’accessibilité dans leurs événements. Développé par l’organisme américain FWD-Doc, en partenariat avec Film Event Accessibility Working Group (FEAW), un comité de travail pour l’accessibilité des événements cinématographiques, avec le soutien de l’alliance des festivals de films (Film Festival Alliance ou FFA) et en association avec la coalition 1IN4, l’Accessibility Scorecard (ou tableau d’évaluation de l’accessibilité) a été lancé en juillet 2022. Il s’agit d’un sondage en ligne gratuit auquel les groupes organisateurs d’événements, les cinéastes et le public sont invités à répondre dans le but de contribuer à la cueillette de données sur l’accessibilité.
Le tableau d’évaluation de l’accessibilité est né du désir de retirer le fardeau de la responsabilité aux cinéastes. Amanda Upson est directrice intérimaire de FWD-Doc, un organisme qui représente plus de 500 cinéastes vivant avec un handicap et d’allié.e.s. «Nous sommes conscients du travail que font les gens, en plus de leurs tâches professionnelles, pour tenter de s’assurer que les festivals soient accessibles — car c’est essentiel pour notre travail. Nous voulions trouver un moyen pour partager facilement de l’information avec les festivals», explique Mme Upson.
Le questionnaire d’évaluation créé est un outil gratuit, offert en format Google Formulaires, Word et PDF. Les créateur·trices invitent les festivals et événements de cinéma à partager le lien du sondage avec leurs invité·es et à s’inscrire pour recevoir les données recueillies. «Tous les festivals de films qui n’ont pas l’argent pour embaucher un·e responsable de l’accessibilité ou d’allouer des ressources à l’accessibilité peuvent le télécharger en version PDF et l’utiliser comme guide», indique Amanda Upson. Les données seront regroupées et les réponses resteront anonymes. L’information partagée avec les festivals indiquera des tendances et des grandes lignes, ce qui leur permettra d’identifier des catégories clés et de prendre des décisions éclairées pour rendre leurs événements plus accessibles. Pour le moment, on prévoit utiliser l’Accessibility Scorecard au Canada et aux États-Unis.
Rénover l’industrie
Pour les membres de l’industrie vivant avec un handicap, ce sondage est un premier pas dans la bonne direction, mais les besoins sont bien plus grands.
Greg Jeffs se souvient de sa première semaine à l’école de cinéma. Lors de sa deuxième journée, il devait diriger quelques scènes pour un projet. «J’avais hâte. Je me suis réveillé le mardi matin, j’ai fait ma routine habituelle, pris mon insuline et commencé à préparer mon déjeuner. J’ai mis les œufs dans mon assiette puis j’ai regardé dehors: il faisait noir. J’ai trouvé cela étrange, se souvient-il. Ç’a alors cogné à ma porte. Il s’agissait de mes camarades de classe qui se demandaient pourquoi je ne m’étais pas présenté à l’école pour mon premier jour de réalisation. J’ai consulté des médecins et j’ai compris que j’avais fait un coma diabétique. En bref, mon taux de sucre a chuté et j’ai perdu conscience de 6h à 19h.»
Plus Greg découvrait l’industrie du film au Canada, plus il déchantait: il ne pourrait jamais faire des journées de 12, voire de 18 heures sur un plateau. Son rêve de réaliser s’est éteint et il s’est tourné vers l’écriture et la production.
«Les bâilleurs de fonds et les diffuseurs affirment maintenant qu’ils accordent de l’importance aux handicaps. En tant que personne vivant avec un handicap, je peux dire que tout est une question de temps. La journée de 12 heures ne fonctionne pas pour 90% des gens. Le nombre de personnes neurodivergentes, qui font de l’anxiété, qui étouffent leur inconfort... La seule solution pour la question du handicap dans l’industrie est d’injecter des fonds», croit Greg Jeffs. Pour lui, l’argent permettrait d’étendre le tournage sur plus de jours et à des heures plus régulières. Pour d’autres, cela servirait à embaucher des assistant·es, des interprètes, etc.
«Il y a tellement de cinéastes indépendants qui se font une fierté de ne pas avoir dormi depuis quatre jours. Je considère cela comme du capacitisme. Ce n’est pas juste envers ceux et celles qui ne peuvent simplement pas le faire, ajoute-t-il. Je crains que des jeunes, persuadé·es que c’est leur seule possibilité, décident d’aller à l’encontre de leur instinct et de le faire quand même, puis qu’il arrive un malheur. Qui en portera la responsabilité?»
Pour Greg Jeffs, la pandémie a également servi de démonstration en matière d’accès aux événements et aux marchés. À distance, il était alors en mesure de présenter et de faire progresser ses projets. L’accessibilité pourrait aussi comprendre des manières diverses de rencontrer des personnes stratégiques, tant dans des postes de création que de direction.
Premiers pas
Si réinventer l’industrie est une tâche ambitieuse, des initiatives telles que l’Accessibility Scorecard représentent du moins un outil d’éducation pour l’industrie. Depuis le lancement de la première version du sondage l’été dernier, plus de 35 organismes se sont inscrits (en plus des membres de FFA et FEAW), et 220 festivals et événements de cinéma ont manifesté leur intention de le faire.
Au Festival international du film de Toronto 2022, Andrew Morris animait une discussion, commanditée par Téléfilm, sur l’amélioration de l’accessibilité des événements. M. Morris dirige la création de l’Office de la représentation des personnes handicapées à l’écran (ORPHE), dont nous avons parlé dans cet article. Il a réagi par courriel à l’initiative américaine et à son potentiel pour l’ORPHE: «Il est encore tôt dans le développement de l’ORPHE et, si je peux affirmer que l’Accessibility Scorecard est bien reçue et que l’on remarque qu’elle apporte des résultats au Canada, l’ORPHE n’a pas encore discuté d’initiatives spécifiques comme celle-ci. Mais je soupçonne que nous allons la soutenir d’une manière ou d’une autre.»
Amanda Upson rêve pour sa part d’une industrie cinématographique qui n’aura plus besoin de ces outils. D’ici là, le tableau d’évaluation de l’accessibilité est un premier pas dans la bonne direction. «Mon souhait est que ce document entraîne un changement à l’échelle du système et qu’il ouvre les portes de l’industrie aux cinéastes, cinéphiles et autres professionnel·les du film vivant avec un handicap, d’une manière qui leur permette de simplement faire leur travail plutôt que de devoir penser à l’accessibilité», conclut la directrice intérimaire de FWD-Doc.