Animiki See Distribution: la puissance des possibles

LAROSE JEAN
Courtoisie de Jean LaRose/ATPN

Jean LaRose prédit que 2024 sera une année charnière. 

Il y a longtemps que l’ancien directeur général du Réseau de télévision des peuples autochtones travaille dans cette industrie. Aujourd’hui, en tant que président de Dadan Sivunivut Inc., il dirige un ensemble de médias qui créent, promeuvent et publient des contenus exclusivement autochtones.

L’une de ces filiales, Animiki See Distribution (ASD), distribue les séries à succès Blackstone et Mohawk Girls. Les émissions d’ASD sont présentées sur APTN lumi et sur All Nations Network par l’entremise de Comcast, ce qui permet la diffusion d’histoires autochtones partout aux États-Unis.

Selon Jean LaRose, on ne fait que commencer à prendre conscience du potentiel des contenus autochtones.

«Nous entrons dans ce qui sera une décennie autochtone, dit-il en citant l’instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, laquelle a dédié la décennie 2022-2032 aux langues autochtones. Partout dans le monde, on sent un intérêt croissant pour les savoirs traditionnels.»

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The Seven Sacred Laws - capture d'écran

S’il est vrai que les contenus qu’offre ASD sont «très nichés», l’entreprise s’est réorganisée après quelques années difficiles, attribuables entre autres à la pandémie, et elle s’est lancée à la conquête d’auditoires plus vastes que ceux de l’Amérique du Nord, visant les marchés de l’Europe et de l’Asie du Pacifique, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie.

«Il y a d’importantes communautés autochtones dans ces régions, et elles sont très intéressées à échanger ou à vendre des contenus», affirme Jean LaRose, ajoutant qu’ASD évalue la possibilité d’acquérir des programmes autochtones internationaux pour ensuite les distribuer.  

Le plan est de réintégrer le circuit des festivals — comme ceux de Banff, de Londres, de la Nouvelle-Zélande — et de rencontrer des gens, d’échanger des poignées de main et d’étendre leur portée internationale.

«Pendant deux longues années, les possibilités pour nos équipes de production de participer à des festivals, de rencontrer des acheteurs potentiels et de découvrir de nouvelles occasions d’affaires ont été sérieusement limitées, déplore Jean LaRose. Nous avons dû revoir nos orientations.»

Une méthode autochtone

LaRose reconnaît que la carte de visite d’ASD donne un éclat particulier à son entreprise de distribution. «Les contenus que nous présentons sont véritablement uniques: histoires originales, savoirs originaux, cultures originales, le tout présenté par les peuples originaux.»

Si cette méthode de narration autochtone est spécifique et exclusive, Jean LaRose affirme qu’elle peut rejoindre des auditoires au-delà des communautés qui sont représentées, à l’écran comme dans les équipes de production.

«Les entreprises de diffusion en continu (streaming) et les grands diffuseurs ont compris que leurs abonné·es et leurs auditoires sont intéressés par ce type de contenus et veulent apprendre, explique-t-il.  Le savoir autochtone est pertinent, parce qu’il permet de voir le monde à travers une lentille différente et de comprendre comment s’y prendre pour mieux interagir avec notre environnement, avec Dame Nature et avec la planète. »

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Searchers: Extreme Northern Rescue - capture d'écran

Le contenu original que propose ASD — un catalogue de plus de 500 heures d’émissions, scénarisées ou non, qui comprend des documentaires, des comédies, des émissions pour enfants et des séries dramatiques — offre une perspective autochtone qui diffère de ce qu’on trouve dans les médias traditionnels.

Selon Jean LaRose, l’intérêt de ces contenus ne réside pas uniquement dans leurs histoires, mais aussi dans le fait de présenter les Autochtones «d’une manière qui n’est pas entachée par des influences externes, des idées fausses ou des malentendus.»

En tant qu’entreprise autochtone, «nous pouvons présenter un portrait réaliste de nos communautés. Je crois aussi que, d’une certaine façon, c’est peut-être plus intéressant et plus facile pour nous d’établir des relations, parce que souvent il y a un élément personnel qui entre en jeu.»

Cette perspective est attrayante, tout particulièrement pour les diffuseurs de contenu en continu.

On peut lire dans le plus récent rapport sur la diversité à Hollywood produit par l’UCLA (UCLA Hollywood Diversity Report) que, dans les productions présentées dans les cinémas, la diversité raciale, ethnique et de genre, devant et derrière la caméra ainsi que parmi les scénaristes, a reculé au niveau de 2019. Toutefois, les diffuseurs de contenu en continu misent eux plutôt sur de nouvelles voix et sur des projets originaux, lesquels comptent plus de femmes et de personnes racisées que les films.

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The Seven Sacred Laws - capture d'écran

Voilà qui convient aux entreprises de distribution autochtones. Pour éviter le “supplice de la goutte” que vivent les entreprises qui produisent du contenu pour le câble et le cinéma, il faut vouloir et savoir s’adapter aux demandes des plateformes de contenu en continu, explique Jean LaRose.

Le principal défi en tant que distributeur n’est pas vraiment lié au fait qu’une production soit autochtone ou non, mais relève davantage des tendances de visionnement.

Par exemple, pendant un temps, les diffuseurs cherchaient principalement à acquérir des séries policières, puis ils se sont tournés vers du contenu à saveur «paranormale». En ce moment, Jean LaRose note que les plateformes s’intéressent aux contenus de type true crime.

«Ce n’est pas comme si les diffuseurs nous disaient que nos contenus ne les intéressaient pas, c’est simplement que leur attention se porte sur autre chose en ce moment. C’est différent», précise Jean LaRose.

«Quand j’ai commencé, [les diffuseurs] disaient: “C’est des histoires d’Amérindiens, des histoires pour vos communautés.” Je n’entends plus ce genre de chose aujourd’hui.»

«C’est un changement d’attitude majeur. Nous ne sommes plus mis dans une petite boîte où les Autochtones ne peuvent parler qu’à d’autres Autochtones. Les plateformes de diffusion s’intéressent à nos contenus si ceux-ci correspondent [aux genres] qu’elles recherchent.»

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Unsettled - capture d'écran

Lorsqu’il repense aux créateurs et créatrices de contenus et aux entreprises de distribution autochtones d’il y a 20 ans, Jean LaRose ne peut que constater une progression phénoménale. Il rappelle la victoire historique de Lily Gladstone aux Golden Globes plus tôt cette année. «L’influence des Autochtones sur la culture cinématographique populaire d’aujourd’hui est importante et indéniable», dit-il.

«Si on recule seulement de quelques années, je ne crois pas que [Lily] aurait gagné, ajoute-t-il. [L’industrie] a permis à nos communautés de commencer à s’épanouir. Ce n’est pas encore chose faite, mais on sent qu’elles s’approchent de leur plein potentiel.»

Il croit que désormais, les producteurs et productrices autochtones peuvent aspirer à produire des contenus du calibre de Killers of the Flower Moon au cours de leur carrière. «Certains  contenus exceptionnels existent, mais ils n’ont pas été reconnus à grande échelle. Ça commence à changer.»

Jean LaRose croit que le défi pour les gens qui créeront ou distribueront du contenu original au cours de la prochaine décennie sera de «travailler ensemble pour ne pas revenir en arrière… s’assurer de ne pas perdre les acquis et collaborer pour, à tout le moins, garder notre position.»

Il admet que cette crainte est bien réelle. «Mais à mon avis, nous ne perdrons pas ce que nous avons acquis.» 


Laura Beeston
Laura Beeston est rédactrice, éditrice et stratège de contenu originaire de Winnepeg. En plus de 10 ans de création médiatique, elle a travaillé sur une variété de projets, et a notamment été journaliste de nouvelles pour The Winnipeg Free Press, The Montreal Gazette et The Toronto Star, et journaliste artistique pour le Globe and Mail. Elle est conseillère média et mentor chez The Link.
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