Bison blanc, poulet frit et puce RFID : le marketing des séries à SXSW
Pour se démarquer à l’ère de la surabondance de contenu télévisuel, les séries misent sur le marketing expérientiel et immersif, comme le démontre le festival South by Southwest 2017.
De l’accumulation de choses vues, entendues et vécues à SXSW, l’une des tendances remarquables semble être celle du retour à la « réalité réelle », alors que la réalité virtuelle, présente depuis quatre éditions, prend de plus en plus de place.
C’est un réel qui se traduit par un engagement tangible et physique et par une application du « vivre ensemble » revisitée à la sauce marketing que les séries télévisées ont parfaitement saisi, en investissant les quelques pâtés de maisons du centre-ville d’Austin le temps du festival.
Performances et retweets
Discrètes dans la programmation – on dénombrait à peine une demi-douzaine de titres (séries numériques comprises) à découvrir dans les salles obscures –, les séries étaient néanmoins omniprésentes à SXSW.
C’est dans la rue qu’il fallait se diriger pour voir les séries s’épanouir largement dans la ville. Tout près du Convention Center surplombait ainsi le bison géant d’American Gods, adaptation du best-seller de Neil Gaiman (à partir du 30 avril sur Starz); même si arrivé aux pieds de l’animal, on se contentait de cadeaux classiques (t-shirts, tote bag et cie) sans grand rapport avec la foisonnante mythologie entrevue dans le pilote.
De manière plus furtive, on a vu défiler des servantes vêtues de rouge, annonçant une autre adaptation à venir, La Servante écarlate de Margaret Atwood (The Handmaid’s Tale) ou encore la « performance » quasi nudiste annonçant la nouvelle série Stripped.
The Handmaid's Tale, spotted at #SXSW. @MargaretAtwood pic.twitter.com/agMmvKWilp
— Erica Grossman (@erica_grossman)
Body of a God or Nah? @Bravotv #Stripped me of all my stuff at #SXSW. How will people on their new show do it for 21 days?! #partner pic.twitter.com/6FfZYkpTjd
— Josh Peck (@ItsJoshPeck)
Plus originale, la délicieuse épicerie Royal Blue Grocery a accueilli pendant quelques jours les casiers des jeunes héros de la nouvelle série 13 Reasons Why, promettant une mise en abyme plutôt bien vue et en accord avec le principe de la série – en ligne sur Netflix depuis le 31 mars. Éphémère et localisé, ce savant « marketing de rue » a réussi son coup : affoler les réseaux sociaux.
Un premier constat est simple à faire : les chaînes et plateformes vidéo (The Handmaid’s Tale sera diffusée sur Hulu à compter du 26 avril) utilisent le festival comme une rampe de lancement pour leurs nouveautés. Avec 455 séries diffusées en 2016 aux États-Unis, on peut les comprendre : pour être repéré parmi les centaines d’heures de contenu, il faut se démarquer.
Les nombreux festivals et conventions de fans aux États-Unis sont depuis toujours le terrain de jeu privilégié des agences de communication qui s’ingénient à promouvoir de manière encore plus originale et immersive les nouveaux films ou les nouvelles séries. Dès 2007, le jeu en réalité alternée Why so Serious était lancé au Comiccon de San Diego, le plus grand rassemblement de geeks de la planète, plus d’un an avant la sortie du film dont il faisait la promotion, en l’occurrence The Dark Knight de Christopher Nolan.
Ce n’est pas non plus la première année que SXSW accueille des événements préparés en attente du lancement de séries (on se souvient de notre première fois en VR dans l’exposition Game of Thrones en 2014, ou de l’énigme Mr. Robot l’année suivante). Cependant, comme le remarque Vanity Fair, il semblerait que l’édition 2017 porte la tendance à sa quintessence.
À Austin, les lieux fictifs ont pignon sur rue
Ainsi, si HBO était à nouveau présente avec Game of Thrones, elle s’était fait un point d’honneur cette année de non seulement proposer un « Escape Room » autour de sa franchise phare, mais aussi de mettre à l’honneur Silicon Valley et Veep, deux autres titres des plus populaires et fédérateurs de la chaîne. Trois « puzzles vivants » ont permis aux équipes de fans d’évoluer dans un décor minutieusement récréé et de résoudre une énigme conçue pour l’occasion dans un temps limité, selon le principe éprouvé du jeu d’évasion très en vogue ces dernières années.
« Nous aimons toujours le marketing traditionnel, mais se diriger vers un chemin moins traditionnel, en proposant des expériences interactives et immersives, permet aux consommateurs de toucher et sentir l’univers de la série », a expliqué Joanna Scholl, vice-présidente du marketing de HBO, à Adweek concernant l’opération. Annoncées quelques jours avant le début du festival, les places se sont – ô surprise – envolées en quelques secondes.
Amazon n’a pas été en reste avec la recréation d’un autre lieu d’une de ses séries les plus connues, Resistance Radio – tout droit sortie de la dernière saison de The Man in the High Castle. Accessible en entrée libre, le lieu vous permettait de traverser un petit parcours mi-narratif et mi-marketing grâce à un bracelet RFID, de regarder quelques minutes d’une des nouveautés proposées par Amazon et surtout de franchir le seuil du « bar dans le bar », un lieu secret accessible par une porte dérobée cachée derrière une étagère, pour y déguster un cocktail bien mérité. Pour les fans non présents à Austin, Resistance Radio a également été lancée en ligne.
Nourriture et sériephilie font bon ménage
Un peu plus loin dans Austin, un banal commerce de restauration rapide était sorti de terre au début du festival… Sauf que son logo (deux poulets dos à dos habillés) et son nom, Los Pollos Hermanos, sont bien connus des sériephiles.
Il s’agissait de la reproduction d’un des restaurants du redoutable Gus Fring, grand méchant de la série Breaking Bad. Point de hasard à voir le restaurant ressurgir quatre ans après la fin de la série : la saison 3 de Better Call Saul démarre le 10 avril et on devrait assister, dans cet antépisode de Breaking Bad, à la rencontre entre Jimmy « Saul » McGill et Gus.
Dans le même ordre d’idées, le mythique Double R Diner issu de la non moins mythique série Twin Peaks est apparu en fin de festival, lui aussi pour annoncer la troisième saison (le 21 mai).
Ces deux lieux ne proposaient aucune expérience ludique à proprement parler, si ce n’est le bonheur de fouler les lieux emblématiques de nos séries préférées, de goûter à l’une des spécialités culinaires et d’en repartir avec un cadeau ou une photo des acteurs phares du spectacle (Bob Odenkirk et Giancarlo Esposito dans le cas du premier, Kyle McLachlan dans le cas du second).
Vers un virtuel toujours plus réel
Ces différents exemples témoignent tous de la prééminence de l’expérience sur le contenu. Il est intéressant de constater que, hormis American Gods, aucune des séries citées n’a organisé de projections au festival. Dans les semaines à venir, chacun pourra découvrir les épisodes à l’antenne ou en ligne, mais les festivaliers se souviendront de l’expérience unique et du temps passé dans tel ou tel lieu fictif, devenu réalité (leur réalité) le temps d’un festival.
Cette recherche d’immersion et de moments forts à partager entre amis ou avec des inconnus contraste évidemment avec les usages de plus en plus individualistes de la technologie (écrans de plus en plus petits, casques de réalité virtuelle obstruant le champ de vision, etc.) et c’est précisément ce paradoxe qui se trouve au cœur du festival hybride et multigenre qu’est SXSW.
Enfin, il est à noter que la réalité virtuelle se dirige elle aussi vers l’occupation de lieux physiques avec des installations multijoueurs, interactives et conçues sur mesure. Ainsi, c’est toute l’industrie du divertissement qui semble s’orienter vers un virtuel toujours plus réel afin d’attirer, de retenir et de fidéliser des spectateurs de plus en plus sollicités ainsi que de pénétrer des univers fictionnels de plus en plus réalistes.
Et qu’il ne puisse plus jamais en ressortir ?