Comment être un employeur « attractif » dans le secteur audiovisuel

La pénurie de main-d'œuvre sévit dans tous les secteurs d’activités, y compris celui de l’audiovisuel. Toutefois, il n’est pas sûr que les solutions RH de l’heure – pensons au télétravail, à l’horaire flexible et aux vacances illimitées – puissent entièrement s’appliquer dans un contexte de création audiovisuelle. Petite enquête pour savoir comment les employeurs du secteur peuvent être plus attractifs vis-à-vis de la main-d'œuvre à recruter.

Un gros rush d’écriture suivi d’une période d’incertitude à attendre des réponses pour des projets en développement. Un tournage intense de quelques semaines suivi d’une année de chômage. Le secteur audiovisuel est reconnu comme un milieu de «pigistes», procurant des emplois précaires et peu stables. Une réalité qui est loin de plaire à la nouvelle génération, prévient Christian Lemay, président de l'Association québécoise des techniciens et techniciennes de l'image et du son (AQTIS).

«L’année dernière, j’ai été témoin d’une jeune équipe de techniciens qui, après un premier film, a décidé de quitter l’industrie, allant jusqu’à demander le remboursement de leur cotisation. C’était des gens passionnés, qui voulaient tous faire carrière dans l’industrie. Mais ils ne voulaient pas passer leur vie à travailler 14 heures par jour.»

Une telle réorientation demeure exceptionnelle, reconnaît-il. Selon l’Étude macrosectorielle des besoins de formation du secteur de l’audiovisuel [1] publiée par Institut national de l'image et du son (L’Inis) le 16 mai dernier, seuls 16% des professionnels de l’audiovisuel songent réellement à «changer de profession». La grogne à l’égard des milieux de travail est toutefois palpable. Le «rythme de production» génère une très grande insatisfaction (noté 5/10) chez les 1334 personnes sondées par l’Inis.

En tant que dirigeant syndical et ancien caméraman, Christian Lemay suggère aux maisons de production d’augmenter le nombre de jours de tournage pour ainsi réduire le nombre d’heures de travail par jour. «En effectuant ce changement, fait-il valoir, les maisons de production parviendront à réduire la précarité d’emploi tout en accordant à leurs équipes de travail des horaires plus normaux.»

Brigitte Lemonde, présidente de Zone3, reconnaît le problème, mais rappelle du même souffle que les productions canadiennes composent avec des budgets «moindres qu’ailleurs». «Tout le monde est pris dans le même engrenage de vouloir tourner plus vite, de manière plus condensée. Parfois, il faut savoir mettre son pied à terre et refuser un projet dont le budget n’est pas adéquat.»

Au-delà des conditions de tournage, Zone3 mise sur la stabilité d’emploi pour retenir et fidéliser ses équipes de production. «De par le nombre de nos productions, nous pouvons nous permettre d’embaucher des équipes à l’interne. En planifiant nos équipes longtemps à l’avance, ça nous permet de contrer l’effet des studios américains, qui offrent des mandats plus payants, mais ponctuels.»

Entre deux productions, Zone3 peut garder ses troupes occupées en les affectant sur des projets en développement ou en offrant de la formation continue. Depuis le début de la pandémie, l’entreprise est aussi beaucoup plus souple sur ses conditions d’embauche («la personne peut choisir de demeurer pigiste, si elle préfère») et le télétravail est permis en pré et en postproduction («même si nos équipes aiment beaucoup se voir au bureau», précise la présidente). 

Se méfier des motivations «extrinsèques» au travail

Brigitte Monneau, directrice générale de SYNTHÈSE – Pôle Image Québec, se méfie des stratégies de recrutement visant uniquement des aspects «extrinsèques» au travail. Elle évoque la généreuse politique de vacances de 6 semaines mise en place par Ubisoft Saguenay en novembre dernier[2]  pour favoriser la rétention de ses employés.

«Avoir beaucoup de vacances, est-ce que ça suffit pour donner un sens à ce que l’on fait? Je n’en suis pas convaincue. Fondamentalement, ce qui rend les gens attachés à leur emploi à long terme, c’est plus la nature de ce qu’ils font.»

Selon elle, les employeurs devraient plutôt réfléchir à la manière d’aider leurs employés à se développer professionnellement. «Une chose que l’on met en lumière dans notre enquête sectorielle [Travailler en création numérique : évolution des métiers graphiques 2D et 3D et enjeux de formation, décembre 2021[3] ], c’est la nécessité de faire de la formation continue. La technologie évolue très rapidement, et les cours collégiaux et universitaires ne permettent pas toujours d’être à jour à cet égard.»

Les employeurs doivent bien noter ce conseil, qui trouve d’ailleurs écho dans l’étude de L’Inis. Lorsque sondés sur leur satisfaction à l’égard du milieu de travail, les professionnels de l’audiovisuel ont faiblement noté «l’offre d’apprentissage et de perfectionnement » (5,6/10) ainsi que « les possibilités de carrières ou d’avancement» (5,7/10) de leurs employeurs.

«Les maisons de production canadiennes ont l’occasion d’améliorer leur offre de formation en milieu de travail non seulement pour leurs employés permanents, mais aussi pour les pigistes qui font partie de leurs équipes», suggère Christian Lemay.  

Prévenir le harcèlement

Une autre stratégie d’attraction est d’offrir un milieu de travail sain, exempt de harcèlement. Or, il s’avère que les employeurs de l’audiovisuel peuvent faire mieux à ce chapitre. Dans l’étude de l’Inis, les professionnels sondés rapportent une insatisfaction relative de 6,3/10 à l’égard de «la prévention du harcèlement psychologique en milieu de travail».

«Dans notre milieu, il n’y a pas de département des ressources humaines, explique Christian Lemay. Il n’y a personne qui arrive sur le plateau de tournage pour gérer un conflit ou un problème de comportement.» Le dirigeant syndical prône la sensibilisation sur la notion même de harcèlement. «Il y a des gens qui ont des problèmes de harcèlement psychologique et qui ne savent pas les reconnaître eux-mêmes.»   

Développer le savoir-être

Ultimement, les employeurs ont le défi de gérer la cohabitation de cinq générations (les baby-boomers, les X, les Millénariaux, les Z et – dans une moindre mesure – la génération silencieuse), toutes porteuses de valeurs et d’une éthique de travail différentes. 

«Mon hypothèse est qu’il faut travailler sur le savoir-être», dit Christian Lemay. Les employeurs peuvent aider leurs gestionnaires et leurs employés à développer des compétences comportementales, telles que l’écoute, la collaboration et l’inclusion pour ainsi améliorer le climat sur les plateaux de tournage, faciliter la transmission de connaissances et favoriser la bonne entente entre les générations. Les maisons de production qui y parviendront seront assurément… des «employeurs de rêve»!


Philippe Jean Poirier
Philippe Jean Poirier est un journaliste indépendant couvrant l'actualité numérique. Il explore l'impact quotidien des technologies numériques à travers des textes publiés sur Isarta Infos, La Presse, Les Affaires et FMC Veille.
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