D’où provient le financement des documentaires?
Lorsqu’il est question de financer un documentaire, plusieurs s’imaginent que les seules options disponibles sont les cartes de crédit, les emprunts auprès de la famille ou la générosité de son réseau de contacts. Des contacts qui, à la longue, risquent de sérieusement à songer à bloquer vos appels et textos…
Or, ce sont loin d’être les seules avenues à la disposition des documentaristes. Certes, elles ne sont pas à négliger, particulièrement pour ceux qui en sont à leurs premières armes dans ce genre. Toutefois, d’autres alternatives s’offrent à eux, chacune comportant son lot de risques et de bénéfices potentiels. Ces dernières ont fait l’objet d’une discussion à l'occasion de la Hot Docs Industry Conference à Toronto.
L’âge d’or du documentaire
Généralement limité aux festivals de films et à une ou deux fenêtres de diffusion, le documentaire s’est vu, depuis l’avènement des services de vidéo sur demande par abonnement, ouvrir les portes à de tout nouveaux auditoires – et de toutes nouvelles sources de financement. Ainsi, au cours des deux dernières années, pas moins de sept documentaires ont été vendus pour plus d’un million de dollars et même plus – du jamais vu. Or, lorsque des longs métrages documentaires comme Won’t You Be My Neighbor et RBG obtiennent des recettes au box-office de 22 millions et 14 millions de dollars respectivement, l’on peut aisément expliquer l’engouement pour le genre.
Un événement qui a fait couler beaucoup d’encre cette année lors du festival Sundance fut sans contredit la vente, pour la coquette somme de 10 millions de dollars, des droits de diffusion internationaux de Knock Down the House. Le documentaire se penche sur le nombre sans précédent de femmes au Congrès américain, particulièrement l’agitatrice
Alexandria Ocasio-Cortez.
D’autres documentaires ayant conclu des transactions dans les sept chiffres cette année incluent Sea of Shadows de NatGeo (3 millions de dollars), American Factory de Netflix (près de 3 millions de dollars), ainsi que l’acquisition par Hulu de The Untitled Amazing Johnathan Documentary (2 millions de dollars).
Au-delà des fonds publics
Il existe, en dehors des sources de financement et incitatifs fiscaux offerts par les institutions publiques au niveau fédéral et provincial, une variété d’autres avenues à considérer pour les documentaires. Toutefois, il importe d’évaluer pour chacune les risques et concessions potentiels – et d’acquérir les connaissances nécessaires pour maîtriser de nouveaux environnements
Hormis l’autofinancement et les fonds gouvernementaux, les principales options pour le financement de documentaires incluent:
- Les investissements en capital
- Le capital de risque
- La participation en capital du coproducteur
- Les prêts
- La participation en capital du diffuseur
- Le financement participatif
Lors de la conférence Hot Docs en 2019, il fut question des avantages et défis pour chacune de ces options. Le point de vue canadien fut exprimé par le cinéaste chevronné Bob Moore, de la boîte montréalaise EyeSteelFilm, alors que James J. Yi, producteur et réalisateur de documentaires primé à Sundance, y est allé du point de vue américain.
Transactions commerciales et obligations légales
Yi a d’emblée souligné les principales différences entre les modèles de financement canadiens et américains. Entre autres, lorsqu’on doit faire affaire avec des investisseurs privés, des obligations contractuelles lient les deux parties. «En fait, il s’agit d’une transaction commerciale comportant des obligations légales», a-t-il souligné. Moore y est allé de façon encore plus directe. «Votre maison pourrait être en jeu, donc les enjeux sont radicalement différents», a-t-il insisté.
En tenant pour acquis que, tout comme eux, la plupart des cinéastes ont la chance de posséder une maison, Yi et Moore ont procédé à une description de chaque catégorie de financement, incluant les risques, avantages et imprévus qui pourraient survenir en cours de processus.
Financement de docus: au-delà des fonds publics
Capital de risque Participation en capital du coproducteur Prêts Participation en capital du diffuseur Financement participatif |
En plus d’offrir un cours de base sur les options de financement disponibles pour les documentaristes, Yi et Moore y sont allés de divers conseils pour les producteurs, soulignant du même coup que certaines alternatives s’appliquent davantage aux modèles de financement américains que canadiens.
Leurs conseils incluaient notamment:
- Créez une compagnie distincte pour chaque film.
- Assurez-vous que votre entente contractuelle est basée sur une participation aux profits nets et non à l’entreprise elle-même ou à la propriété intellectuelle.
- Vos investisseurs doivent se limiter à leur rôle d’investisseur.
---> À titre de courtoisie, certains cinéastes peuvent permettre aux investisseurs de visionner un montage de leur film. Toutefois, il importe de préciser, non seulement verbalement mais dans le contrat lui-même, que le cinéaste et les producteurs sont les seuls ayant le droit d’approuver la version finale du documentaire. - Sachez gérer vos attentes. Précisez clairement ce à quoi vos investisseurs devraient s’attendre en retour de leur 50 ou 100 000$. Un partenariat? Un avantage fiscal? Une mention au générique?
- N’oubliez pas qu’au Canada, le financement public de documentaires impose les paramètres d’une entente contractuelle, contrairement aux États-Unis, où il est possible de distinguer entre un groupe d’investisseurs A et un groupe B, chacun ayant ses propres conditions, incitatifs et paramètres de remboursement.
Compte tenu de la panoplie de nouvelles avenues de distribution pour les documentaires, plusieurs croient que nous vivons un nouvel âge d’or pour ce genre de film. Aussi, même si les 22 millions de dollars générés par Won’t You Be My Neighbor relèvent davantage de l’exception que de la norme, des documentaires du genre peuvent désormais potentiellement rejoindre des auditoires beaucoup plus vastes que le permettent une distribution limitée en salles ou une brève fenêtre de diffusion. Il résulte de cette manne un nouvel élan d’enthousiasme pour la production de documentaires – et, du même coup, de nouvelles sources de financement. James J. Yi se dit optimiste quant aux possibilités pour les cinéastes. Il a tout de même rappelé au public de la conférence Hot Docs que le processus de financement d’un documentaire demeure complexe. «Si possible, privilégiez les investisseurs ayant une vision davantage philanthropique», a-t-il conclu.
Pour de plus amples renseignements sur les normes de l’industrie en matière de financement et de crédits pour la production de documentaires, consultez le rapport récemment publié par la DPA (Documentary Producers Alliance).