État du monde numérique: les grandes tendances Internet en 2018
Le rapport Internet Trends est une bible qu'attendent avec impatience chaque année par une foule d’investisseurs, de chercheurs et de journalistes spécialisés en technologie. Ils y trouvent tout ce qu’il faut savoir pour investir avec succès dans les nouvelles technologies, du mobile au commerce électronique en passant par la concurrence entre les géants du Web. Survol des principaux points à retenir de cette présentation.
La renommée de ce rapport annuel présentant des données majoritairement de sources américaines est en bonne partie attribuable à la crédibilité que son auteure, la légendaire Mary Meeker, associée chez Kleiner Perkins Caufield & Byers (une société de capital de risque), s’est forgée au fil des parutions annuelles.
Même si certains observateurs font remarquer que Mary Meeker a un intérêt financier direct à porter des lunettes roses pour décrire l’état de l’industrie technologique, que ses intentions sont fondamentalement bonnes et que la réglementation gouvernementale est suspecte en soi, ils reconnaissent que le rapport présente une collection de faits intéressants et généralement fiables. En effet, le rapport offre un bon aperçu de l’état du monde numérique.
Ralentissement de la vente de téléphones intelligents et du nombre de nouveaux internautes
La croissance des ventes d’appareils continue de ralentir: au cours de la dernière année, on a observé une croissance nulle de la livraison de nouveaux téléphones intelligents contre 2% en 2016.
L'augmentation du nombre d’internautes ralentit également (hausse de 7% seulement contre 12% l'année précédente). Toutefois, comme le souligne Mary Meeker, avec 3,6 milliards d'internautes dans le monde en 2018, les utilisateurs d’Internet représentant plus de la moitié de la population mondiale en 2018 (en 2009, celle-ci était deils en représentaient 24%). [traduction] « La réalité de tout cela pour les gens d'affaires dans la salle, vous le savez, est que quand vous arrivez à 50% de pénétration dans un marché, la nouvelle croissance devient beaucoup plus difficile à trouver. »
Cependant, aux États-Unis, l'augmentation du nombre heures passées sur Internet par utilisateur demeure robuste, en particulier grâce à une augmentation considérable de l'utilisation sur mobile. En effet, le temps passé sur les appareils connectés ne cesse d'augmenter: l'utilisation quotidienne des médias numériques chez les adultes se chiffre maintenant à 5,9 heures, et ce temps est consacré majoritairement aux appareils mobiles. Les appareils mobile représentent d’ailleurs les seul appareil avec lequel les utilisateurs ont augmenté leur utilisation par rapport à l'année précédente.
Les appareils deviennent à la fois plus performants et moins coûteux, nous dit Mary Meeker, tandis que l’expansion des réseaux WiFi dans le monde (un peu plus de 300 millions) a contribué à l'augmentation spectaculaire du bassin d’internautes. Le prix moyen des téléphones intelligents (en tenant compte des reventes d’appareils d'occasion) est passé d’environ 400$ US à 300$ US au cours des dix dernières années.
De plus en plus, l’avantage compétitif dans ce marché repose sur l’innovation et des produits utiles, conviviaux et personnalisés, comme la reconnaissance faciale de l’iPhone ou la reconnaissance d’images d’Android (fonctionnalité qui permet de faire une recherche d’objets photographiés et qui peut mener à un achat direct).
Monétisation: les tendances s’accentuent
Évolution de la façon dont les consommateurs découvrent les produits, médias sociaux qui facilitent les découvertes et les achats, services par abonnement, publicités sur mobile, les tendances observées par Kleiner Perkins aux États-Unis au cours des dernières années gagnent continuellement en importance.
En matière de commerce en ligne, la recherche a toujours dominé, que ce soit via un moteur de recherche comme Google, ou une plateforme de vente en ligne comme Amazon. Mais les choses évoluent: tandis que Google se transforme en plateforme de commerce en ligne, Amazon devient un moteur de recherche qui tire une partie de ses revenus de la publicité (4 milliards US en 2017).
Une part importante des utilisateurs de médias sociaux y ont trouvé des produits qu’ils ont achetés après les avoir découverts. Et la croissance est rapide: en 2017, 6% des référencements vers des sites de commerce électronique provenaient des médias sociaux, contre seulement 2% en 2015. Sondés au sujet des médias sociaux qui leur ont permis de découvrir des produits les intéressant, les consommateurs américains ont mentionné Facebook au premier rang, suivi de près par Pinterest et Instagram. Ces découvertes se sont soldées par des achats dans 55% des cas.
Par ailleurs, les consommateurs plébiscitent les services par abonnement. Parmi les services les plus représentatifs, l’augmentation du nombre d’abonnés en 2017 va de 25% pour Netflix et Dropbox, à plus de 40% pour Spotify et The New York Times et à 172% pour Peloton, une application qui offre des séances d’entraînement sur vélo stationnaire et tapis roulant.
Malgré toutes les innovations dans le secteur des appareils mobiles, les spécialistes du marketing sous-attribuent encore les dollars publicitaires sur les plateformes mobiles: sur leurs appareils, les utilisateurs consacrent 29% de leur temps aux médias, alors que les annonceurs y affectent 26% de leur budget, ce qui, selon Meeker, correspond à un manque à gagner de 7 milliards de dollars américains pour les plateformes publicitaires. Cela signifie également que les publicités mobiles continuent d’être vendues à rabais, tandis que les dépenses publicitaires dans la presse écrite, à la télévision et sur les ordinateurs de bureau demeurent toutes surindexées par rapport au temps consacré à ces médias.
Données personnelles, collectives, moissonnées, partagées… le moteur de l’innovation et de la monétisation
Téléphones intelligents, temps passé sur les médias sociaux, nombre de messages échangés par les services de messagerie: toutes ces variables ont enregistré une croissance rapide au cours des dernières années et cette croissance commence tout juste à ralentir en ce qui concerne les téléphones.
Si on ajoute à ce phénomène l’arrivée de l’Internet des objets ou l’IdO (Internet of Things ou IoT) et ses capteurs envahissants (pervasive sensors en anglais), le volume des données générées par Internet a explosé à un rythme effréné et devrait atteindre, d’après la source citée dans le rapport de Kleiner Perkins, 163 zettaoctets (1 zettaoctet = 1021 octets) d’ici 2024.
Mary Meeker fait valoir que plus de données permettent de meilleures analyses, ce qui génère de meilleurs produits, achetés par plus de clients, ce qui mène à encore plus de données…
Meeker appelle ça un volant d’inertie (un système qui utilise la taille et la masse d’une roue pour produire de l’énergie) des données. Ce volant soutient de nouveaux services d’intelligence artificielle qui sont devenus abordables pour un large éventail de développeurs, comme les plateformes infonuagiques d’Amazon Web Services (AWS) et de Google Cloud qui offrent maintenant parmi leurs services la reconnaissance d’images, le traitement du langage, l’apprentissage automatique (machine learning en anglais), une puissance informatique évolutive ou encore des modèles d’apprentissage automatique sur mesure.
Conséquences imprévues
Il faut pouvoir parer aux conséquences imprévues qui résultent parfois de l’adoption massive de certaines technologies ou applications, avertit Mary Meeker.
Fausses nouvelles et faux comptes, contenus inappropriés, haineux ou controversés ayant rendu les annonceurs frileux, utilisation à des fins politiques de données personnelles d’usagers, les conséquences négatives ne cessent de se multiplier et les géants du Web ont été forcés d’intervenir.
Facebook et Google, illustre-t-elle, n’ont eu d’autre choix que de rendre les outils de protection de la vie privée des consommateurs beaucoup plus accessibles. En 2017, YouTube a dû retirer 8 millions de vidéos présentant du contenu controversé et Facebook a éliminé plus de 500 millions de faux comptes. (Récemment, Twitter a suspendu plus de 70 millions de comptes soupçonnés d’être de faux comptes ou de contrevenir à ses règles.)
Les États réagissent aussi à ces nouvelles réalités de la vie connectée, mais tous n’interviennent pas avec la même force. C’est ce que Mary Meeker appelle le paradoxe de la vie privée: [traduction] « Les entreprises améliorent des services qu’ils peuvent fournir à bas prix en partie à partir de données d’utilisateurs. Les utilisateurs d’Internet passent plus de temps à utiliser des services Internet dont ils perçoivent la valeur. Les organismes de réglementation veulent tous s’assurer que les données ne sont pas utilisées de façon inappropriée, mais tous les organismes de réglementation ne s’y prennent pas de la même façon. »
C’est en Europe que les interventions ont été les plus directes à ce jour:
- Depuis le 25 mai dernier, l’Union européenne a adopté des règles en matière de protection des données qui s’appliquent à toutes les entreprises exploitant des activités au sein de l’UE, indépendamment de leur lieu d’établissement. Ces règles visent à permettre aux citoyens de mieux contrôler leurs données personnelles et à créer des conditions de concurrence équitables entre les entreprises.
- Au début de l’année, l’Allemagne a promulgué une loi qui force les médias sociaux à supprimer les discours haineux sous peine d’amendes pouvant atteindre 50 millions d’euros.
- La Commission européenne a infligé à Google une nouvelle amende record de 3,8milliards d’euros pour avoir abusé de sa position dominante avec Android, son système d’exploitation pour téléphone intelligent. L’entreprise avait déjà été condamnée à verser 2,42 milliards d’euros pour avoir abusé de sa position dominante dans la recherche en ligne afin de favoriser son comparateur de prix Google Shopping au détriment de services concurrents.
Comme Meeker l’a expliqué lors de sa présentation: [traduction] « Plus les possibilités de monétisation, de croissance et de collecte de données augmentent, plus les organismes de réglementation examinent tout ce qui concerne les données, la concurrence ou l’innocuité des contenus. Il est essentiel de comprendre ce que cela laisse sous-entendre, et c’est très complexe. Nous sommes en plein milieu de tout cela et nous le serons encore pour longtemps. »
Pendant ce temps en Chine…
Tandis que l’Europe intervient pour protéger les données de ses citoyens, en Chine, le gouvernement encourage la collecte et le partage de données dans le but avoué d’accélérer le développement de l’intelligence artificielle.
Les consommateurs chinois répondent bien à cette attente: ils sont 753 millions d’internautes sur mobile et leur consommation de vidéos sur le Web augmente (de 13% à 22% du temps total passé sur les applications de médias et de divertissement). C’est sans doute pour cette raison que leur consommation de données Web sur mobile a enregistré une croissance accélérée de 162% en 2017. De plus, les consommateurs chinois se classent au premier rang mondial des consommateurs disposés à partager leurs données personnelles en échange d’avantages.
Il y a cinq ans, on dénombrait neuf entreprises américaines et seulement deux entreprises chinoises parmi les 20 entreprises Web privées dont la valeur boursière figurait parmi les plus élevées. Or, en 2017, ce palmarès comptait neuf entreprises chinoises et 11 entreprises américaines.
Alibaba est l’entreprise chinoise ayant l’évaluation boursière la plus élevée. C’est un chef de file dans l’écosystème du commerce électronique, à l’instar d’Amazon à plusieurs égards. Tout comme Amazon, Alibaba n’est pas simplement une plateforme de commerce électronique; c’est aussi un conglomérat intégré verticalement qui est également actif dans la vente au détail traditionnelle, les paiements électroniques, le divertissement en ligne et l’infonuagique.
Alibaba étend de plus en plus ses activités au-delà de la Chine en procédant à des acquisitions et à des prises de participation. (Environ 8,4% de ses revenus provenaient de l’extérieur de la Chine en 2017, contre 7,9% l’année précédente.) Le groupe a développé une conception du commerce de détail, baptisée « New Retail », dans laquelle l’expérience de magasinage – qu’elle soit dans le monde réel ou virtuel – est entièrement numérisée. Cela représente peut-être un bon indice de ce que seront nos vies connectées de demain.