Femmes en jeu vidéo: la quête d’une culture plus inclusive

Quatre ans après les dénonciations d’une culture d’entreprise «toxique» dans l’industrie du jeu vidéo, une nouvelle étude sectorielle montre que le problème n’est pas entièrement réglé. Les femmes qui travaillent en jeu continuent de vivre plus de harcèlement et de se sentir moins écoutées que leurs collègues masculins. Comment rendre les studios accueillants pour tous? Nous avons posé la question à la chercheuse Gabrielle Trépanier-Jobin, auteur de l’étude Diversité, équité et inclusion dans l’industrie du jeu vidéo québécoise, et Angela Mejia, cofondatrice du studio indépendant Clever Plays, ayant récemment mené un exercice RH pour améliorer ses pratiques RH.

Mentionnons-le d’entrée de jeu : le portrait qui ressort du sondage mené à l’été 2021 auprès de 1532 employés de studio présents au Québec est loin d’être catastrophique. Prenons deux exemples. Sur la question de se sentir à sa place, les hommes ont répondu «tout à fait» à 66% contre 62% pour leurs collègues femmes. Ensuite, 50% des femmes ont dit recevoir la reconnaissance méritée contre 48% des hommes. 

«Si on se fit uniquement à la couverture médiatique des dernières années, ça donne l'impression que toutes les femmes qui travaillent dans l’industrie du jeu vidéo souffrent et subissent du sexisme ou du harcèlement, annonce Gabrielle Trépanier-Jobin. Or, la situation est beaucoup plus nuancée.»

Toutefois, il faut reconnaître que le harcèlement et le manque de considération continuent d’être «genrés». Par exemple, il est trois fois plus fréquent qu’une femme déclare avoir reçu des messages à caractère sexuel (19 % versus 6 % pour les hommes) et quatre fois plus fréquent qu’elle subisse des attouchements inappropriés (17 % versus 4 % pour les hommes). De plus, la chercheuse relève un écart «significatif» entre les personnes qui peuvent s’exprimer sans jugement (54% pour les femmes versus 64 % pour les hommes) et celles ressentent le constant besoin de «faire leurs preuves» (58 % pour les femmes versus 44 % pour les hommes).

Gabrielle Trépanier-Jobin

Former, et briser l’isolement

Pour améliorer la situation, Gabrielle Trépanier-Jobin rappelle que les bonnes pratiques RH commencent par la formation aussi bien des employé·es (sur la thématique de la diversité et l’inclusion) que des cadres qui supervisent les équipes de création et de production.

«Les gestionnaires ont du pouvoir et de l'autorité sur les employé·es, mais n’ont pas toujours reçu de formation pour le rôle qu’ils et elles occupent, note la chercheuse. Parfois, ce sont des gens qui ont monté les échelons parce qu’ils ont eu du succès dans leur créneau créatif ou technique. Et c'est bien correct. Toutefois, le rôle de gestionnaire fait appel à des compétences émotionnelles, il faut être capable d’écouter son équipe. Et ça vaut la peine de former les gestionnaires à cet égard.»

Ensuite, Gabrielle Trépanier-Jobin attire l’attention sur un volet de son étude portant sur le «solo status», qui est le fait d’être le seul représentant de son genre dans une équipe de travail, une situation vécue par 78% de femmes et seulement 18% d’hommes. Or, il s’avère que le solo status a rendu «mal à l’aise» 41% des femmes qui l’ont vécu contre 12% des hommes en pareille situation. Le pourcentage de femmes qui ne se sentent pas à leur place et ne peuvent pas s’exprimer sans jugement est «significativement» plus élevé chez celles en solo status versus les femmes présentes dans des équipes mixtes. «Je trouve ce constat intéressant, car équilibrer les équipes de travail est une mesure qui peut être rapidement mise en place par les studios.»

Clever Plays, proactif pour créer un «safespace»

En termes de diversité, le studio indépendant Clever Plays se veut exemplaire à plusieurs égards: il a été cofondé en 2013 par un homme (Mattieu Begin, ancien d’Ubisoft) et une femme (Angela Mejia), son équipe de production de six employé·es est paritaire et son plus récent jeu vidéo – Operation Tango – met en scène une paire de protagonistes incluant un rouquin barbu et une femme racisée.

Et pourtant, loin de se reposer sur ses lauriers, le studio a décidé de mener un exercice RH externe pour améliorer les pratiques de son équipe, il y a six mois. «L’évaluation a montré que les valeurs des fondateur·trices étaient bien comprises des employé·es: le respect, la communication et la volonté de faire des jeux de qualité. Toutefois, il s’est avéré que nous devions travailler sur la notion de safespace.» Avec le recul, la direction s’est effectivement rendue compte que les employés seniors prenaient beaucoup de place et que les juniors étaient gênés de poser leurs questions.

«Quand on prend conscience de la situation, ça change déjà énormément la dynamique, dit-elle. Nous voulons que nos employé·es juniors se sentent à l’aise de dire qu’ils ou elles rencontrent un problème dans leur travail. Pour créer un safespace, nous misons sur la rétroaction positive des gestionnaires et un message de la direction, à savoir que nous voulons obtenir l’avis de toutes et tous.»

Réfléchir au contenu des jeux

En amont de la gestion interne, Angela Mejia aborde un autre aspect susceptible d’assainir la culture de travail dans l’industrie du jeu: c’est le contenu-même des jeux vidéo. Pendant longtemps, les studios ont été à la merci des joueurs défendant une vision traditionnelle du jeu, axée sur la violence graphique et la glorification de héros blancs aux gros biceps. Puis est survenue, en 2014, une campagne de harcèlement en ligne des «gate keepers» contre des femmes de l’industrie du jeu vidéo.

«À la suite du gamegate, les grands studios ont pris conscience de leur responsabilité face aux jeux qu’ils proposent. Les jeux vidéo sont une référence culturelle incroyablement forte, rappelle la cofondatrice de Clever Plays. Je crois que nous n’avons pas encore compris, comme société, tout l’impact des jeux sur les personnes, y compris sur les enfants.»

La question se pose alors: est-ce que le fait de produire des jeux ayant un contenu «positif», célébrant la «diversité» peut avoir un impact positif sur la culture interne des studios? Angela Mejia pense que oui. «En tant que studio indépendant, on ne peut rivaliser avec les grands studios sur le salaire, mais on peut se démarquer par la qualité et par la thématique de nos jeux. Nous cherchons des gens qui sont motivés à créer des jeux inclusifs», résume-t-elle.

Repenser le contenu de ses jeux, un bon point de départ pour rendre l’industrie plus accueillante pour les femmes, et plus largement, aux personnes issues de toutes les diversités!


Philippe Jean Poirier
Philippe Jean Poirier est un journaliste indépendant couvrant l'actualité numérique. Il explore l'impact quotidien des technologies numériques à travers des textes publiés sur Isarta Infos, La Presse, Les Affaires et FMC Veille.
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