Gostartis: les défis et espoirs d’un potentiel Patreon québécois
Jusqu’à nouvel ordre méconnue, la nouvelle plateforme Gostartis Média pourrait bien devenir un acteur clé du milieu culturel, notamment auprès des créateurs de vidéos et de baladodiffusions qui sont adeptes de financement participatif par abonnement. Or, pour asseoir sa crédibilité auprès des créateurs et cohabiter – ou concurrencer – avec d’autres plateformes, Gostartis Média devra relever des défis considérables. Voici une analyse d’une jeune pousse de l’entrepreneuriat culturel aux idées prometteuses.
Le 8 août dernier, un nouveau joueur a fait discrètement son entrée dans le marché du financement participatif au Québec: Gostartis Média, une plateforme consacrée entièrement aux projets artistiques. En ciblant ainsi son secteur d’activités, l’entreprise vient combler non pas un, mais deux espaces laissés vacants par les plateformes nationales généralistes: celui de la culture, et celui du modèle de financement par abonnement propulsé par Patreon.
Mais ce n’est pas tout: la plateforme a pour ambition de devenir un diffuseur culturel, en produisant des contenus (blogue, vlogue et baladodiffusion) inspirés, en partie, du travail des artistes abonnés à ses services. Pour son cofondateur, Dominique Galarneau, le volet « média » ne représente qu’un aspect de la généreuse vitrine qu’il souhaite créer pour les artistes d’ici. Fort de son expérience en philanthropie (Société canadienne du cancer, Fondation Charles-Bruneau), il souhaite ajouter une section « événements » à son entreprise, et planche actuellement sur la création d’une boutique en ligne.
D’une certaine manière, Gostartis souhaite devenir un intermédiaire actif dans le secteur culturel, et ce, en multipliant les possibilités de production et de mise en valeur de la création artistique, dont fait partie le financement participatif. Une stratégie audacieuse et pertinente, sachant que la communication et l’innovation constituent d’excellents leviers de différenciation par rapport à d'autres plateformes de financement participatif.
Cependant, cela suffira-t-il à garantir le succès des campagnes que soutiendra la plateforme? En d’autres mots, que font les plateformes ayant le plus grand nombre de campagnes à succès à leur actif? Pour y voir plus clair, nous nous sommes attardés aux résultats d’une étude menée par le professeur et chercheur canadien Douglas Cumming. La question au centre de cette étude est la suivante: Le succès des campagnes de financement participatif passe-t-il par un meilleur filtrage et un meilleur accompagnement des projets?
Les grands défis de Gostartis: vérifier, accompagner et conseiller
À première vue, le premier défi de Gostartis concerne l’obtention de visibilité afin d’assurer que ses projets et ses contenus circulent sur le Web et les médias sociaux. Bien que cela semble aller de soi, l’étude de Cumming révèle néanmoins que le processus de vérification diligente, qui consiste à faire l’examen du dossier du porteur de projet (vérification de ses réalisations, établissement de la faisabilité de son projet, audit de son rendement dans les médias sociaux, etc.), est une étape que les plateformes de financement participatif ont intérêt à privilégier, car elle aurait une influence positive sur le taux de réussite de leurs clients.
Pour en arriver à cette conclusion, le chercheur de l’Université York a analysé les données de 51 plateformes canadiennes actives entre 2013 et 2015 en collaboration avec la National Crowdfunding Association of Canada.
L’intuition de départ était que les plateformes qui effectuent un contrôle de qualité serré des candidatures réussissent mieux à éviter les cas de fraude, réduisent l’asymétrie d’information entre les entrepreneurs et les contributeurs potentiels et augmentent ainsi le nombre de projets à succès hébergés par leur site. L’hypothèse est confirmée de manière éclairante par Cumming, qui se penche également sur les facteurs d’application de la vérification diligente (nombre d’employés, secteur d’activités, niveau d’achalandage, etc.). Cumming fait aussi valoir que les services d’accompagnement et de conseil stratégique augmentent la probabilité de réussite des projets.
À la lumière de ce qui précède, pour que Gostartis remplisse sa mission première, c’est-à-dire attirer l’attention sur ses artistes tout en maximisant leurs chances de succès, elle devra filtrer les projets candidats et, bien que cela ne rime pas toujours avec rentabilité, miser sur la qualité et la transparence des projets plutôt que leur nombre, et ce, tout en s’investissant auprès des porteurs de projet – ce qui représentera de toute évidence la force de cette jeune entreprise.
Gostartis Média: un nouvel espace pour les créateurs de films et webséries?
Interrogé sur ses stratégies d’accompagnement auprès de cette catégorie de créateurs les mieux rémunérés (car ce sont eux qui se sont le mieux appropriés le financement par abonnement à la Patreon) – soit les créateurs qui font dans la vidéo, le balado et les jeux –, Dominique démontre qu’il est prêt à intervenir à différents niveaux.
Vidéo: une capsule de Kurzgesagt, une chaîne allemande offrant des vidéos éducatives animées qui figure parmi les créateurs les plus actifs sur Patreon
Prenons l’exemple d’un projet de capsules Web qui n’a pas reçu les subventions espérées. Comment celui-ci sera-t-il pris en charge par Gostartis?
« On évaluera d’abord la candidature afin de comprendre les raisons du refus [des subventions]. Par exemple, si ces dernières ont été conçues pour le Web et que ça ne se voit pas dans l’écriture, nous allons suggérer au créateur de retravailler les textes pour qu’ils conviennent mieux au canal ciblé. Une fois les modifications apportées, nous proposerons la tenue d’une campagne de financement participatif, puis viserons une nouvelle demande de subventions. »
Il ajoute ensuite ceci: « Nous allons faire de notre mieux pour appuyer le créateur dans ses démarches. Sinon, la prochaine étape consistera à le jumeler à un professionnel de notre entourage, qui répondra à ses besoins plus particuliers. » En effet, offrir un accompagnement stratégique, c’est aussi être en mesure de guider le client vers d’autres ressources mieux qualifiées. D’ailleurs, il a été démontré que la réussite d’une plateforme repose en partie sur l’existence d’un réseau de partenaires clés.
Pour l’instant, Gostartis Média n’héberge que trois campagnes, mais ce chiffre pourrait passer à dix d’ici la fin du mois. Étant donné le jeune âge de la plateforme et surtout le temps que Dominique consacre à l’accompagnement (une moyenne de trois rencontres par artiste), ce faible volume d’activités ne devrait pas constituer une source d’inquiétude à court terme. Il lui faudra cependant augmenter le taux d’attractivité du site afin d’attirer davantage de créateurs et, donc, gagner en crédibilité ainsi qu’en visibilité.
Or, les choses pourraient évoluer prochainement et pour le mieux, car un artiste ayant participé à La Voix y fera bientôt campagne, un grand projet de websérie est dans l’air, et nous apprenons en primeur que la scénariste, auteure et humoriste Anne-Marie Dupras y lancera une nouvelle page de Ma vie amoureuse de marde, offrant ainsi à sa grande communauté de lecteurs (plus de 33 000 abonnés Facebook) la possibilité de recevoir ses savoureux contenus avant tout le monde, moyennant un abonnement.
Tous les projets seront dévoilés le 5 novembre, lors du grand lancement officiel qui sera annoncé sous peu.
Produire, diffuser et célébrer!
Un autre facteur de succès d’une plateforme qui, à notre sens, jouera peut-être en faveur de Gostartis Média est sa spécialisation – les arts –, qui pourrait servir de terreau propice au développement d’une communauté. La plateforme belge Sandawé, consacrée entièrement à la bande dessinée, constitue un bel exemple. Les dessinateurs y ont une meilleure chance d’y financer leurs œuvres, car ils ont accès à une véritable communauté d’amateurs du neuvième art.
Dominique en est conscient, et c’est pourquoi il envisage la possibilité de diffuser les films, documentaires ou webséries sur sa plateforme, qui seraient présentés en exclusivité aux abonnés. Mieux encore, il présentera un festival de films mobiles, destiné exclusivement aux productions courtes et punchées qui trouveront dans les appareils mobiles leur tremplin de prédilection. L’événement se tiendra au printemps 2019.
Toutes ces idées ont pour but de titiller l’intérêt des passionnés, qui a priori sont prêts à payer pour le visionnement en ligne de créations d’ici, mais le sont peut-être moins pour soutenir des projets à la pièce. En France, les dernières statistiques publiées par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) tendent justement à montrer une intensification de la consommation légale de biens culturels en ligne, notamment chez les 15-24 ans, la strate la plus friande des services de vidéo à la demande. Des signaux plutôt encourageants pour l’avenir des créateurs, producteurs et diffuseurs culturels dans l’univers numérique.
Pour l’amour de l’entrepreneuriat culturel
Bien que nous ayons mis l’accent sur son modèle de financement par abonnement, précisons que Gostartis Média offre aussi un financement flexible par projet en vertu duquel l’artiste garde ce qu’il reçoit, que la cible ait été atteinte ou non. L’important pour la plateforme, c’est d’offrir le maximum d’outils possible pour encourager l’entrepreneuriat parmi des créateurs d’ici.
Selon Dominique, bien ce mot fasse peur aux artistes et à leur entourage, l’autonomie artistique est – et demeurera – le cœur battant de Gostartis Média.
À suivre, donc!