Jérémie Boucher et Gabriel Savignac, les inséparables du 7e art
En pleine entrevue, le producteur Jérémie Boucher et le réalisateur Gabriel Savignac révèlent, un sourire en coin, avoir été comparés à un monstre à deux têtes. Quelques minutes plus tard, ils se décrivent eux-mêmes comme des Power Rangers qui, une fois réunis, deviennent encore plus puissants. De toute évidence, les deux amoureux derrière Inséparables Films sont une force créatrice qui peut déplacer des montagnes.
Tous deux en début de trentaine, ils ont à leur actif le court métrage Ma Lionne, qui a parcouru les festivals, le court métrage Reste, je ne veux pas être toute seule, sélectionné au TIFF en 2017, et une série numérique, Nichole, qui arrivera sur la plateforme numérique de Télé-Québec à l’automne 2022.
Comment choisissez-vous vos projets?
Gabriel – Depuis les débuts et jusqu’à récemment, on travaillait toujours sur mes idées, mais plus notre boîte de production grandit, plus on reçoit de l’intérêt de la part d’artistes qui veulent travailler avec nous.
Jérémie – Ultimement, Gabriel est la personne que j’aime le plus au monde, alors je veux que ses projets fonctionnent. J’adore produire, mais j’aime avant tout l’aider à réaliser son rêve à tous les jours. Ses idées deviennent mes bébés.
Gabriel – On va naturellement dans la même direction. On a les mêmes goûts, la même sensibilité, on aime les mêmes films et on réagit aux mêmes choses en visionnant une émission.
Jérémie – Ce n’est jamais arrivé que je sente moins un de ses projets. Les sujets qui l’interpellent me rejoignent beaucoup. Gabriel a toujours voulu mettre en lumière les personnes marginalisées ou plus vulnérables pour montrer que leurs différences est en fait une force. Lui-même n’est pas un gars qui parle fort et qui prend beaucoup de place, mais je le vois comme une pépite d’or.
Qu’est-ce qui est venu en premier : la collaboration professionnelle ou la relation amoureuse?
Jérémie – Plutôt une relation d’amitié. On s’est rencontrés au cégep en 2008 et on est devenus très proches.
Gabriel – On avait une relation d’amitié très fusionnelle et on a rapidement pris conscience de la corrélation entre nos intérêts personnels et artistiques.
Jérémie – Quand je suis allé étudier en production à l’École nationale de théâtre (ÉNT), on s’est un peu perdus de vue, mais on s’est retrouvés comme amis en 2010. Quelques années plus tard, vers la fin de 2015, on a commencé à travailler ensemble en même temps que notre relation d’amitié est devenue une relation amoureuse.
Gabriel : Jérémie avait terminé depuis quelques années ses études en production théâtrale. Il a proposé de produire mon projet de fin d’études en production cinématographique à Concordia.
Pourquoi avoir attendu toutes ces années pour être en couple?
Gabriel – À l’époque, j’avais peur de perdre notre amitié en impliquant une relation amoureuse. Comme j’étais jeune et fringuant, j’avais eu quelques relations amoureuses qui étaient rapidement devenues éphémères, et je n’avais pas le goût de perdre Jérémie. Donc, je m’empêchais de le voir sous un regard amoureux.
Jérémie – Finalement, quand je lui ai proposé de produire son film, on habitait déjà ensemble. Je venais d’une pratique tournée vers les arts de la scène, mais j’étais curieux du cinéma et de la télé, parce que j’en avais fait plus jeune en tant que comédien.
Aurais-tu tâté ce terrain s’il n’y avait pas eu le projet de Gabriel?
Jérémie – Après mes études à l’ÉNT, le milieu des arts de la scène était florissant pour moi et je me voyais y faire ma place. C’est très rare en production qu’une personne passe de la scène à l’écran. Donc, si Gabriel n’avait pas évolué au cinéma, je n’aurais peut-être pas pu ouvrir cette porte.
Gabriel – Je vais mettre un bémol, parce que j’ai accès à ton enfance grâce à tes parents. Ils racontent souvent que tu avais un intérêt très tôt pour le cinéma. Tu écoutais plusieurs films nichés ou qui sortaient de l’ordinaire.
Jérémie – C’est vrai, j’avais même créé un cinéparc dans ma cour. N’empêche, j’avais pris un réel virage vers les arts de la scène.
Gabriel – Quand j’ai commencé à étudier le cinéma, tu étais tellement proche de moi. Je te partageais mes questionnements. Tu vivais mes projets à mes côtés. Ça t’intéressait et tu t’impliquais beaucoup. C’était évident qu’on se complétait. Notre collaboration s’est présentée naturellement à la fin de mes études.
Aviez-vous des appréhensions à l’idée de mélanger création et relation?
Gabriel – Aucunement. On était tellement sur le même X que je ne voyais même pas ça comme un projet à deux. Depuis peu, on a commencé à travailler avec d’autres artistes et je comprends seulement maintenant le concept de collaboration. Comme si Jérémie et moi étions le même artiste. D’ailleurs, un ami nous a déjà dit qu’on était un monstre à deux têtes. C’est vrai qu’on est un peu de même.
Jérémie – Nous avons bâti nos références et notre vision ensemble, et nous avons eu les mêmes profs au cégep. Dès que Gabriel dit quelque chose, nos collaborateurs et collaboratrices savent que je pense forcément comme lui. On est toujours sur la même longueur d'onde et on vient toujours en paquet de deux.
Gabriel – Parfois, j’ai peur que ça intimide les gens. C’est important pour nous de rester ouverts à la discussion avec les autres créateurs et créatrices.
Jérémie – En même temps, je pense que les gens nous voient comme deux petits garçons gentils et pas très menaçants. Dans un débat, on est d’office deux «contre» un, mais on reste à l’écoute.
Quelles sont vos forces respectives?
Gabriel – Nos intérêts sont communs, mais nos habiletés sont très différentes. On est comme les Power Rangers: quand on est ensemble, on devient une version plus puissante.
Jérémie – Je m’occupe de la production, du budget, de l’organisation, de l’efficacité et je suis toujours en mode solutions. Je connais beaucoup le financement, la politique et les subtilités des demandes auprès des institutions. Gabriel prend son temps pour faire ses affaires, ce qui est une bonne chose, car c’est lui qui trouve les idées créatives.
Gabriel – J’apporte une certaine sensibilité à nos œuvres et à notre entreprise. Oui, il faut être efficaces et saisir les opportunités, mais c’est important pour moi que ça se fasse dans une certaine humanité, autant dans nos sujets que dans nos contacts humains. En tant que réalisateur et scénariste, je fais émerger les idées, mais on les challenge ensemble et ça devient nos idées.
Jérémie – Comme j’ai une compagnie de théâtre, La messe basse, avec Maxime Carbonneau et Dany Boudreault, et que je suis directeur général délégué de la Compagnie de danse Marie Chouinard, je tire dans tous les sens et j’ai beaucoup d’assiettes à gérer. Gabriel se dédie entièrement au cinéma avec ses projets et ceux des autres. Donc, même si je suis très organisé, ça arrive qu’il me rattrape en suggérant qu’on prenne une heure pour rentrer les factures dans le logiciel comptable, la fin de semaine.
À quel point vos tâches sont-elles réparties?
Jérémie – Je lis chaque réplique d’un scénario et je commente, alors que Gabriel regarde tous les budgets. On est fusionnels dans les tâches.
Gabriel – Quand on donne notre avis à l’autre, je pense qu’on est dans une honnêteté pure qui nous aide à mieux communiquer. On est super directs.
Jérémie – On se connaît tellement que si je vis une situation avec lui, il n’a même pas besoin de m’expliquer comment il se sent; je le sais et je suis déjà en mode solutions.
Lorsque vous rencontrez les institutions ou les diffuseurs, avez-vous le sentiment d’être plus forts à deux?
Gabriel – Complètement! Quand on doit pitcher une idée, j’ai la chance d’avoir mon producteur avec moi 24h sur 24 pour me briefer, faire des essais, me corriger et s’assurer qu’on arrive ultra préparés.
Jérémie – On se prépare jusque dans le bain! Parfois, il faut établir des limites.
Gabriel – C’est difficile, car notre réalité dépasse le 9 à 5. Quand on se couche, on continue de parler de nos projets et de chercher des idées. Nos projets nous stimulent et nous ressemblent tellement que c’est l’fun d’en parler. Quand on est au resto et qu’on discute de notre prochain film, c’est électrisant! Ça devient difficile de décrocher totalement.
Jérémie – À l’été 2021, on a trop travaillé pour prendre des vacances, alors j’ai mis des limites pour en prendre en 2022. Par contre, comme on avait un dépôt de projet super important à la fin août, il a fallu trouver un moyen de faire les deux. En voyage, on faisait trois heures de rédaction après le déjeuner. Puis, on allait à la plage. On ne s’imaginait pas aller se prélasser sur le sable en pensant sans arrêt qu’on ne travaillait pas à notre dépôt.
Quels sont vos projets à venir?
Gabriel et Jérémie – On travaille sur un film d’après le livre Le premier qui rira de Simon Boulerice. On développe une série numérique de l’auteur Louis-Philippe Vachon. Un court métrage sur l’univers de la gymnastique masculine au Québec. Et d’un point de vue plus personnel, on est dans un processus d’adoption.