La narration interactive : une remontée vers la lumière?
Dans tout processus d’innovation, se succèdent toujours dans le temps des populations différentes confrontées aux enjeux soulevés par quelque chose de véritablement nouveau :
- D’abord les inventeurs, ce tout petit groupe de ceux qui créent véritablement l’idée, le concept, l’œuvre d’art, le produit, le service. Ce groupe casse les habitudes acquises et perturbe l’ordre établi.
- Puis les pionniers, les curieux, les découvreurs. Ce sont eux qui embrassent immédiatement le nouveau, l’adoptent, l’explorent, l’essaient… Ils accompagnent les inventeurs parce que, justement, c’est neuf et cela vient rebattre les cartes du quotidien. C’est l’inconnu de ce qui n’est pas encore la norme qui les excite, les passionne. C’est l’incertitude, le risque et l’aventure de la découverte qui les motivent. Leur motivation n’est aucunement pécuniaire.
- Juste après eux, avec eux, apparaissent les renifleurs. Ils cherchent la bonne affaire. Ils regardent ce qui va peut-être devenir la nouvelle occasion d’affaires lucrative. Et ils veulent être les premiers à la saisir. Ils ont aussi un esprit pionnier, mais leur motivation est l’argent ou le succès quantifiable (augmentation de parts de marché pour des télévisions par exemple).
- Rapidement, les renifleurs sont déçus parce que leurs attentes sont exagérées et le processus de rentabilisation et de mise en place d’un modèle économique viable et appétissant est trop long. Désappointés, ils deviennent vite critiques et détruisent le joujou neuf en le dénigrant aussi rapidement qu’ils s’en sont entichés pour ensuite passer à autre chose.
- Pendant que les renifleurs deviennent les plus féroces critiques et destructeurs de ce qu’ils ont adoré le temps de leur caprice, les pionniers continuent lentement et obstinément leur travail de construction. Leurs rangs grandissent et accueillent d’autres passionnés curieux. Leur travail de défrichement avec celui des inventeurs est donc moins tendance parce que les renifleurs font leur travail de sape. L’exploration devient un peu plus souterraine, beaucoup moins médiatisée et plus secrète d’une certaine manière.
- Et ce n’est que lorsque ce travail en profondeur des vrais passionnés commence à atteindre sa maturité qu’il commence à porter ses fruits et à être intégré petit à petit dans les pratiques sociales et dans le marché.
- La viabilité naissante, balbutiante attire alors les investisseurs qui y voient une d’affaires rentable. Le marché et le plus grand nombre adoptent alors l’invention progressivement. Les pionniers sont en général marginalisés à ce stade du processus et ne tirent généralement aucun bénéfice du succès grandissant que connaissent leur intuition d’origine et leur travail.
Ce processus s’applique absolument à la narration interactive aujourd’hui. Nous en sommes au stade post-renifleurs, le stade critique où le travail se fait plus souterrainement qu’il y a deux ou trois ans quand le « transmédia » est apparu comme le truc cool du moment.
Et nous qui travaillons tous plus tranquillement maintenant, dans les soutes du paquebot du battage médiatique, nous croyons au potentiel considérable de ces nouvelles formes de récit et de jeu qui, une fois que nous aurons inventé la langue de ce nouveau type d’expérience, enrichiront et transformeront durablement notre culture, notre représentation du monde et nos loisirs.