La rentrée télé américaine se fait dorénavant sur le Web
Au cours des 15 dernières années, les séries télévisées ont gagné leurs lettres de noblesse grâce à la vision de producteurs ambitieux et de réseaux audacieux comme HBO notamment. « Nous vivons un âge d’or de la télévision, affirme David Poltrack, directeur de la recherche pour CBS. Le public embrasse désormais la télévision d’une manière tout à fait nouvelle. » Pourquoi? Tout simplement parce que la programmation est trop bonne.
La rentrée télévisuelle apporte désormais son lot de nouvelles séries à un public que l’offre vertigineuse ne semble pas saturer. Dans l’optique de sonder l’intérêt des téléspectateurs et de créer des habitudes de consommation pour leurs nouveaux produits culturels, les grands réseaux américains ont recours à de nouvelles pratiques de diffusion et de mise en marché qui bousculent le schéma traditionnel des lancements télévisuels.
Lancements Web en primeur
La première tactique consiste à diffuser en primeur sur le Web le pilote d’une nouvelle série devant prendre l’antenne à la rentrée. À la fin août, pas moins de cinq réseaux différents – CBS, NBC, ABC, FOX et MTV – ont emprunté ce modèle.
Selon le magazine Quartz, les premiers épisodes des gros canons de la rentrée télévisuelle américaine comme A to Z, la nouvelle série romantique de NBC (dont la première sera diffusée le 2 octobre), Selfie (une reprise moderne de My Fair Lady) de ABC (première le 30 septembre) et Red Band Society de Fox (lancé le 17 septembre) ont tous été mis en ligne sur Hulu et les sites Web respectifs des différents réseaux. ABC a même poussé l’expérience plus loin en diffusant le premier épisode de Selfie en continu (streaming) directement sur Twitter.
On peut prévoir qu’à l’avenir, plusieurs autres pilotes feront leur début en ligne ou sur des plateformes comme la boutique iTunes. En faisant bien évidemment exception des fuites, les premières en ligne sont aujourd’hui devenues la norme plutôt que l’exception aux États-Unis.
Même s’il n’est pas une série télé, le documentaire No Cameras Allowed réalisé par James Marcus Haney et Fake Empire pour MTV a lui aussi connu une première vie en ligne. Se déroulant dans l’univers des festivals et de leur public, le documentaire est accessible en avant-première sur iTunes. Le film est disponible depuis le 12 août dans la boutique iTunes aux États-Unis et a été diffusé deux semaines plus tard sur MTV.
La stratégie de MTV a été pensée dans l’optique d’assurer la plus grande visibilité possible en dehors du cadre de la chaine (« off channel »). Le partenariat avec iTunes permet aussi d’aller chercher un nouvel auditoire par le biais de la boutique.
Vu la masse de nouveautés qui envahissent les écrans en septembre, il est devenu encore plus difficile pour les nouveaux contenus de trouver leur public. Les prévisionnements en ligne ont l’avantage de permettre aux téléspectateurs de prendre le temps de découvrir de nouveaux produits, d’en devenir accros et de commencer à passer le mot autour d’eux avant même que la saison ne débute officiellement.
Outlander, la nouvelle série de la chaine payante Starz, a ainsi attiré plus d’un million de téléspectateurs sur sa page Web pour la présentation du premier épisode, une semaine avant sa sortie officielle sur le câble. Showtime, avec Penny Dreadful, ainsi qu’AMC, avec Halt and Catch Fire, ont tous emboîté le pas et diffusé leur premier épisode en ligne. Disney aussi a pris l’habitude de présenter ses nouveautés en ligne (comme Boy Meets World et Star Wars Rebels) via son application de diffusion en continu.
Accessible en rattrapage, et vite!
La deuxième tactique qu’utilisent les diffuseurs pour tirer leur épingle du jeu dans cette offre pléthorique est de raccourcir le temps entre la diffusion télévisée et la mise en ligne des contenus. La plupart des réseaux rendent désormais accessibles leurs épisodes en VSD ou sur Netflix, Hulu ou encore Amazon quelques jours seulement après leur diffusion au petit écran.
Ainsi, grâce à une entente exclusive, les épisodes de l’énorme succès télé de CBS, Under the Dome (suivis par 14 millions de spectateurs par semaine en 2013) sont accessibles à peine quatre jours après leur sortie sur la plateforme d’Amazon Prime Instant au prix de 1,99 $ (2,99 $ en format HD). Le modèle a fait ses preuves pour CBS puisque le réseau compte diffuser sa nouvelle série Extant sur Amazon Prime Instant Video. Pour CBS, cette entente représente une intéressante source de revenu potentiel avant même que la première saison n’ait véritablement commencé.
Cependant, l’entente entre CBS et Amazon n’est pas exclusive puisque le réseau de télévision a parafé pour 2015 une autre entente avec Netflix, un concurrent direct d’Amazon sur le marché de la vidéo sur demande en ligne. CBS s’est entendu avec Netflix pour mettre en ligne les épisodes de la future série Zoo (adaptée du livre de James Patterson) en 2015.
Au lieu de rendre les contenus accessibles quatre jours après la diffusion de chaque épisode, Netflix, fidèle à ses habitudes, préférera mettre tous les épisodes dans son catalogue d’un seul coup après la diffusion du dernier épisode à la télé.
Multiples avantages pour les diffuseurs
Ces nouvelles stratégies de diffusion permettent de valoriser une émission en amont et en aval de sa diffusion télévisuelle. Même si cette dernière demeure encore centrale dans l’écosystème médiatique, ces contenus sont désormais « testés » en ligne et accessibles en VSD a posteriori.
Pour les réseaux, les avantages peuvent être multiples : assurer une promotion «virale» et du bouche-à-oreille en amont, évaluer l’intérêt pour la nouvelle programmation et générer des revenus grâce à la vente de droits de rediffusion.
Pour David Poltrack, les nouveaux moyens de diffusion laissent sous-entendre de nouveaux accès et la possibilité de joindre directement un plus grand auditoire. Selon le service de recherche de CBS, en l’espace de seulement trois ans, le pourcentage de personnes qui regardent la télévision en direct a chuté de 89 % à 80 %, tandis que la diffusion en continu sur Internet a augmenté de 4 % à 11 % du marché. Tout laisse donc croire que des initiatives comme celles mentionnées ici finissent par porter fruit.