L’avenir des médias: de la compétition à la collaboration

Le 13 septembre dernier, au Centre des sciences de Montréal, se tenait la deuxième édition de Plateforme(s), le Sommet québécois des médias organisé par Infopresse. Dans un mode axé sur les solutions et les bonnes pratiques, l’événement souhaitait mettre en lumière la créativité dont certaines entreprises médiatiques font preuve pour faire face aux changements technologiques, économiques et sociaux qui bousculent leur écosystème.

La journée se terminait par une grande table ronde réunissant les patrons de plusieurs grands médias québécois: Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse, Michel Lorrain, président de Cogeco Média, Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada, Gerry Frappier, président, Télévision francophone et RDS (Bell Média), et enfin Nicolas Marin, président de Mishmash Média. Dans une ère où leur secteur est déstabilisé par une concurrence étrangère livrée sur le Web, les compétiteurs semblaient déterminés à faire front commun pour faire rayonner la culture locale.

Vers une nouvelle définition du média?

La première question de l’animateur et éditeur d’Infopresse, Arnaud Granata, portait sur les définitions. Qu’entendons-nous par média? Si les auditoires, les contenus et les plateformes ont tous évolué, peut-être que les médias ne sont plus ce qu’on pensait qu’ils étaient.

Pour Michel Lorrain, un média, c’est un véhicule de transmission pour les producteurs, les générateurs de contenu. Fondamentalement, ce rôle historique de diffuseur d’information et de divertissement n’a pas changé. Ce sont les outils pour produire du contenu et les méthodes de consommation qui se sont transformés. Le citoyen consomme du contenu au moment qui lui plaît, quand il est disponible. « Ça nous a forcés à évoluer. Mais le travail de collecte d’information, de vérification, d’éthique, d’équité, de pertinence, de proximité, rien de cela n’a changé. »

Michel Bissonnette de Radio-Canada abonde dans le même sens en parlant plus particulièrement du journalisme. « On était unidirectionnel sur des antennes spécifiques, on est maintenant dans un univers où tous nos contenus sont disponibles sur le numérique. On n’a plus les mêmes contraintes de création. » Il donne l’exemple d’un de ses journalistes envoyé en Inde outillé seulement de son iPhone pour produire des reportages. « Le respect des normes et des pratiques journalistiques n’a pas changé, mais la façon dont on peut raconter des histoires a beaucoup évolué. »

Bien sûr, la prolifération de contenu si facilement accessible pose des enjeux de découvrabilité en ce qui concerne le contenu local. Gerry Frappier de Bell Média propose une analogie imagée: « Quand tu entres dans une boulangerie aujourd’hui, il y a un choix incroyable de pain. Il y a 20 ans, on mangeait tous du pain blanc tranché. »

De compétiteurs à collaborateurs

De la concurrence internationale semble être née une nouvelle forme de collaboration. Michel Bissonnette soutient que l’offre de Netflix et d’autres grands joueurs est venue consolider des liens: « On a développé une solidarité nationale qu’on n’aurait pas pu voir il y a quelques années. Chacun, individuellement, on n’aura jamais la force de frappe pour pouvoir concurrencer alors qu’ensemble, on peut l’avoir. » Il explique que chaque télédiffuseur conserve ses objectifs et son plan d’affaires qui lui sont propres, mais que des efforts concertés peuvent donner des résultats étonnants.

Par exemple, depuis mai dernier, Groupe V Média (V), Bell Média (Canal Vie, Z, VRAK), TV5 Québec (TV5 et Unis TV) et l’Office national du film du Canada (ONF) offrent du contenu sur ICI tou.tv Extra. M. Bissonnette indique que seulement quelques mois plus tard, presque 15% du trafic de la plateforme provient de ces contenus partenaires.

Une responsabilité partagée

Selon Michel Bissonnette, l’ère de la collaboration concerne non seulement les médias, mais aussi tout l’écosystème. Il faut développer une confiance réciproque entre annonceurs et producteurs de contenu. « Il y a une obligation de citoyen – autant pour nous comme médias que pour eux comme annonceurs – de pouvoir soutenir le contenu d’ici parce que sinon, on n’aura plus d’argent pour financer ce contenu-là. »

Et c’est une relation d’affaires qui semble plus pérenne aux yeux de Gerry Frappier. « Vous avez un plus grand pouvoir d’achat en faisant affaire avec des producteurs locaux. » Il prend l’exemple de l’industrie de la musique. Avant même la chute des ventes de CD, explique-t-il, la musique a été mise en vente par Costco et Walmart. « Tout le monde s’est dit que c’était bien et qu’on allait chercher de nouveaux publics, mais l’effet sur les petits disquaires a été dévastateur. Faire découvrir un talent dans une grande surface était presque impossible. » Selon lui, il y a une responsabilité commune: préserver une industrie locale en santé et permettre à cet écosystème de continuer de fonctionner. « Nous sommes les seuls qui vont nous préoccuper de ça », affirme-t-il.

Diversification des revenus

Les patrons de presse souhaitent que les annonceurs investissent davantage sur leurs plateformes plutôt que celles des géants américains, mais ils réfléchissent aussi à d’autres sources de revenus. L’équilibre est difficile à trouver parce que les médias d’information ont aussi une mission sociale, selon Pierre-Elliott Levasseur, en l’occurrence celle de produire de l’information de qualité qui est accessible à l’ensemble de la population.

En ce sens, il dit être très inspiré par l’approche du quotidien britannique The Guardian qui conserve la gratuité de son contenu tout en monétisant certaines fonctionnalités de personnalisation, par exemple. « Ils demandent aussi aux gens de devenir des ambassadeurs; le public a ainsi l’impression de contribuer à une certaine mission sociale. Le résultat est impressionnant. Leur approche est moderne et leurs revenus de ce type-là sont maintenant plus importants que ceux tirés de la publicité. »

Nicolas Marin de Mishmash mentionne que, au-delà des abonnements et de la publicité, les revenus transactionnels sont aussi une avenue intéressante, car ils offrent un produit à valeur ajoutée. Le printemps dernier, le magazine L’actualité s’est associé à l’agence de voyages Uniktour pour offrir des séjours à l’étranger en compagnie de journalistes qui connaissent bien les enjeux locaux du pays visité.

La Presse offre également le même genre d’expériences en collaboration avec Voyage Traditours. Avant le séjour, une visite de la salle de rédaction de La Presse permet aux voyageurs de découvrir les coulisses de la production d’un quotidien. Aussi, le voyage est bonifié par un événement conçu sur place par La Presse. Pierre-Elliott Levasseur est plutôt satisfait des résultats initiaux: « On a vendu sept voyages à guichets fermés en quelques mois. C’est un exemple d’exploitation de la marque qui est un peu différente. »

Michel Bissonnette pense que c’est une tendance de fond. Le média passe d’une marque unidirectionnelle à une expérience entre le citoyen et cette marque. La multiplication des contacts directs, comme ceux que permet aussi le festival de musique de la CBC, par exemple, devient une avenue très intéressante à explorer.


Catherine Mathys
Catherine Mathys travaille dans le milieu de la production audiovisuelle et des médias depuis près de 20 ans. Chroniqueure, reporter et animatrice, elle s’est spécialisée dans la dernière décennie dans l’analyse des transformations technologiques et médiatiques. Titulaire d’un baccalauréat en sociologie et d'une maîtrise en communication, elle apprécie tout particulièrement observer notre rapport à la technologie et son impact sur notre quotidien.
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