Le fabuleux destin d’Indie Game: The Movie

Les réalisateurs-producteurs Lisanne Pajot et James Swirsky sont d’authentiques pionniers de l’approche « directement aux fans ». Leur film Indie Game: The Movie a remporté un énorme succès critique, public et commercial en distribution hybride. Derrière ce véritable tour de force en matière d’entrepreneuriat créatif se cache un dévouement de tous les instants.

Innovateurs malgré eux? Lisanne Pajot et James Swirsky n’auraient jamais pu prédire le parcours inespéré de leur premier film au moment de le mettre en chantier en 2011. Cinq ans plus tard, le duo derrière Blinkworks Media, une société de production de Winnipeg, au Manitoba, continue de générer des revenus grâce à sa planification stratégique aussi rigoureuse que souple et à son utilisation judicieuse des nouvelles plateformes numériques de diffusion et de monétisation.

La clé du succès? Une connaissance intime de leurs fans et une loyauté indéfectible à leur égard. Le prix à payer? Un engagement constant à l’égard du projet, qui occupe encore à ce jour une part importante de leurs activités professionnelles.

Niveau débutant : la genèse

Pajot et Swirsky ont adopté une « mentalité fan » dès le début de leur aventure, ne serait-ce qu’en raison de leur propre intérêt et respect pour les jeux vidéo, leurs créateurs et les diverses communautés d’adeptes. Ils voulaient ainsi modeler leur stratégie de marketing le plus fidèlement possible sur leurs envies, leurs habitudes de consommation et leur désir de partager leur passion avec d’autres fans.

Indie Game: The Movie (IGTM) a d’emblée joui d’auspices favorables dont ses créateurs ont su tirer profit. Représentant un des premiers films entièrement consacrés aux concepteurs de jeux vidéo indépendants, IGTM fut tour à tour un des premiers longs métrages à avoir vu le jour à la suite de deux fructueuses campagnes de prévente sur Kickstarter ayant permis de lever un total de 150 000 $ en 2011, avant de devenir, dès l’année suivante, le tout premier film téléchargeable de Steam, la principale plateforme transactionnelle de jeux vidéo.

IGTM a fait autant sensation auprès des critiques que de son public cible (les gamers) dès sa première mondiale au Festival de Sundance, où il a remporté le prix du meilleur montage dans la catégorie « Cinéma international » et durant lequel les créateurs ont pris l’audacieuse décision d’assumer eux-mêmes la diffusion de leur film, car ils étaient insatisfaits de la stratégie et des conditions proposées par certains distributeurs établis… Ce fut une démarche à l’image des concepteurs de jeux farouchement indépendants auxquels IGTM rend hommage.

Mettant à profit leurs expériences respectives en journalisme et en production pour entreprises ainsi que leur relation soutenue avec les fans de la première heure, Pajot et Swirsky, qui avaient déjà pris en charge la scénarisation, la réalisation, le tournage et le montage de leur film, ont dès lors eux-mêmes orchestré un impressionnant scénario de distribution. Celui-ci était constitué de nombreuses fenêtres de diffusion successives, dont chacune requérait l’apport de différents partenaires, différentes technologies et différents modes de tarification dynamiques pour atteindre des auditoires complémentaires.

Lisanne Pajot et James Swirsky répondent aux questions du public dans le cadre de la tournée IGTM.

À la suite de sa projection à SXSW, Sheffield, Hot Docs et une trentaine de festivals internationaux, IGTM pris l’affiche à New York, Los Angeles, Seattle, San Francisco et Toronto en mai 2012 lors d’une sortie limitée traditionnelle. Par après, les cinéastes ont accompagné leur film pour une tournée nord-américaine de 15 dates en mode « TOD » (theatrical-on-demand), dans la foulée d’un partenariat avec Adobe et avec l’utilisation de solutions numériques grand public comme PayPal, MailChimp, Squarespace, Shopify et Eventbrite.

Cette tournée a notamment permis à Pajot et à Swirsky de rencontrer des fans et des exploitants de salles indépendantes et, ainsi, de générer quelques projections supplémentaires une fois que ces exploitants avaient pris acte de l’engouement tangible des spectateurs pour le film.

Au Canada, Blinkworks Media s’est associé à Hot Docs et à Cineplex pour tenir la première nationale d’IGTM simultanément par flux satellitaire dans 37 salles au pays. Ce fut une expérience innovante qui a porté fruit à son tour, car des propriétaires de salles se sont ensuite engagés à programmer le film dans des zones décentralisées. Cette expérience acquise pendant la tournée a donné suite à la planification de plus d’une centaine de projections dans un total de 25 pays.

Parallèlement à ces projections, IGTM a été proposé en mode VOD (vidéo sur demande) aux internautes du monde entier par l’entremise d’iTunes (où il a été pendant quatre semaines consécutives en tête des documentaires les plus populaires de la boutique en ligne), de Steam et du site officiel du film au moyen de VHX (une solution en marque blanche). Le but était de tirer profit de l’engouement suscité par la tournée et d’atténuer les risques de piratage numérique.

Après quatre semaines, une sortie numérique à grand déploiement sur VuDu, YouTube, PS3 et Xbox a été réalisée avec le soutien du programme Sundance Artist Services, ce qui a permis d’élargir encore plus la portée du film. IGTM a enfin gagné les marchés américain et britannique de la SVOD (vidéo sur demande par abonnement) en octobre de l’année suivante après avoir fait l’objet d’une acquisition par Netflix.

Niveau intermédiaire : la suite

S’inspirant des premiers succès en matière d’autodistribution remportés par l’humoriste Louis C.K. (Live at the Beacon Theater – recettes de 1 M$ en 10 jours) ou encore le cinéaste Kevin Smith (Red State), les créateurs d’IGTM n’ont cessé de prolonger l’élan initial, depuis la production jusqu’à la diffusion du film et bien au-delà, en développant une relation de proximité avec leurs fans au fil des entrées de blogue hebdomadaires, des 14 000 gazouillis et des réponses aux 10 000 courriels envoyés par leur communauté de quelque 30 000 fans en l’espace de 24 mois.

Au-delà du film, Indie Game a généré des revenus supplémentaires grâce à la conception et à la commercialisation de nombreux produits dérivés : une luxueuse édition spéciale sur DVD pour collectionneurs, des affiches originales, un coffret cadeau, un chandail officiel, une bande sonore, une anthologie de jeux indépendants représentés dans le film, des carnets de notes aux couleurs du film ainsi qu’une version « censurée » (sans jurons) destinée au marché institutionnel. Tous ces produits dérivés peuvent être achetés de la boutique en ligne officielle du film.

IGTM : The Special Edition

De plus, les nombreuses séquences écartées de la version finale du film pour créer IGTM: The Special Edition furent remontées et bonifiées de nouvelles scènes illustrant le parcours des principaux protagonistes à la suite de la sortie du film dans Indie Game: Life After. Cette suite a été lancée à son tour en 2016, en SVOD et dans les boutiques de téléchargement.

Niveau expert : entretien boni

Depuis l’aventure exceptionnelle d’Indie Game: The Movie, Lisanne Pajot et James Swirsky ont réalisé Codename: Victory, un court documentaire de marque sur le processus de création de la populaire franchise Assassin’s Creed pour le compte de l’agence Cutwater et du studio Ubisoft.

Comptent-ils utiliser à nouveau une stratégie de distribution hybride pour maximiser le potentiel commercial de leurs prochains projets? « Nous sommes excités à l’idée de pouvoir tabler sur les stratégies et les auditoires que nous avons développés pour IGTM, a affirmé James Swirsky en marge d’une présentation livrée au SODEC_Lab Distribution 360 à Montréal en novembre 2016. Même si nous considérions faire une suite à IGTM, nous privilégierions une stratégie hybride entre la distribution autonome et un partenariat avec un distributeur traditionnel. Certains d’entre eux font aujourd’hui preuve d’une plus grande souplesse à travailler avec des producteurs désirant développer des approches novatrices.»

Que réserve l’avenir pour les modes de distribution alternatifs ou hybrides? « Quelque part entre une solution de niche pour des sujets spécifiques ciblant de larges communautés de fans déjà établies, et un modèle de revenus substantiel destiné à quiconque souhaitant élargir son auditoire, a poursuivi Swirsky. L’environnement numérique est en perpétuelle transformation, aucune approche ne peut s’appliquer à tous les projets. Quoi qu’il en soit, réfléchir à son auditoire cible et [à] la meilleure stratégie pour l’atteindre très tôt dans le processus de création ne peut qu’être bénéfique pour votre projet. »


Charles Stéphane Roy
Charles Stéphane Roy est producteur multiplateforme et chargé de l’innovation à La maison de prod depuis 2013. Il fut auparavant rédacteur en chef du quotidien Qui fait Quoi, puis réalisa des mandats d’analyse stratégique pour l’Observatoire du documentaire du Québec et le Groupe Évolumédia. Ses projets, qui intègrent filmtech et modèles d’affaires innovants, ont été sélectionnés à Cannes NEXT, Cross Video Days et l’accélérateur Storytek, en plus de se mériter le POV Hackathon Award et le Prix HackXplor Liège TV5 Monde.
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