Les débuts accidentels de la série Degrassi
La créatrice de Degrassi explique comment cette emblématique franchise de la télévision canadienne a évolué de sa première saison dans les années 1980 à sa plus récente mouture lancée sur Netflix en 2016.
« Si ce n’avait pas été de cet accident de voiture, je ne sais vraiment pas si c’est le parcours que j’aurais suivi », affirme Linda Schuyler, créatrice de la franchise télévisuelle Degrassi.
Cette série – lauréate de prix internationaux incluant plusieurs Emmy et un Peabody – est regardée dans plus de 100 pays et est traduite dans plus d’une douzaine de langues.
Dans le cadre d’une récente allocution livrée à son alma mater, le Collège Innis de l’Université de Toronto, Schuyler a raconté l’histoire d’un grave accident de voiture dans lequel elle fut impliquée pendant un voyage en Europe à la fin des années 1960.
C’était le genre d’excursion transatlantique que plusieurs choisissent de vivre à la fin de leurs études ou – comme dans le cas de Schuyler – après quelques années d’études universitaires et alors qu’elle remettait en question son choix de programme d’études.
Schuyler a fini par se trouver une nouvelle voie dans la vie, mais pas nécessairement pour les raisons que vous pensez. Elle avait été la seule à survivre à l’accident et, après être retournée chez elle pour y vivre sa convalescence, le seul programme qui acceptait de nouvelles inscriptions au moment où Schuyler était prête à reprendre ses études était l’enseignement.
Quelques années plus tard, elle a décroché un poste d’enseignante dans une école secondaire de premier cycle dans l’est de Toronto. « Au début, j’avais l’impression que je n’exploitais pas mon plein potentiel, avoue Schuyler. Je me pensais meilleure qu’une prof de secondaire. Mais c’était sans savoir que je finirais par adorer mes élèves. »
Cependant, lorsqu’est venu le moment de trouver du matériel didactique qui reflétait les types d’enjeux auxquels les élèves faisaient face dans leur vie, elle n’a rien trouvé.
Et, ensuite, la lumière fut : Schuyler a décidé de fonder sa propre maison de production et de créer une émission racontant des histoires qui reflétaient fidèlement la réalité de la vie des préadolescents et des adolescents auxquels elle était devenue si attachée.
Adapter Degrassi à des normes culturelles en perpétuel changement
C’était en 1980. « Je sais, cela semble fou, avoue Schuyler. J’ai quitté la sécurité de mon poste d’enseignante après huit ans de service. Des fois, il suffit d’être au bon endroit au bon moment. À cette époque, il n’existait rien comme l’émission Degrassi et le hasard a voulu que mes débuts aient coïncidé avec la naissance de la production indépendante au Canada. »
Et ainsi a commencé un périple de 37 ans en production télévisuelle pour Schuyler et ses collaborateurs qui ont porté au petit écran et partout dans le monde, souvent pour la première fois, de difficiles thèmes comme les drogues, la violence familiale, la maladie mentale, la grossesse adolescente et le racisme.
La première itération de la franchise Degrassi a été The Kids of Degrassi Street, diffusée jusqu’en 1986. Ont suivi Degrassi Junior High (1987-1989), Degrassi High (1989-1991), Degrassi: The Next Generation(2001-2015) et, depuis 2016, Degrassi: Next Class.
Parallèlement au développement des cinq franchises de Degrassi, l’émission a migré de la diffusion publique au Canada et aux États-Unis vers la câblodistribution à l’échelle mondiale et plus récemment vers Netflix, qui présente la plus récente mouture de la série, Degrassi: Next Class.
Cependant, le travail ne s’est pas limité à trouver de nouvelles vedettes, à cadrer la série dans une nouvelle réalité et à signer de nouveaux contrats avec des diffuseurs. Au fil du temps, Schuyler et l’équipe de Degrassi ont aussi eu à faire face à l’évolution de l’industrie des médias ainsi que des normes sociales et culturelles.
Schuyler invoque un exemple particulièrement éloquent, qui illustre comment l’enjeu controversé des grossesses non désirées chez les adolescentes a été traité par Degrassi au fil des décennies.
Dans les années 1980, la scène tendue se déroulait à l’extérieur d’une clinique d’avortements avec des manifestants exprimant leur colère à l’endroit d’une jeune protagoniste qui s’apprêtait à faire son entrée dans le centre avec sa sœur. Dans les années 1990, le narratif adoptait un ton sombre et factuel; l’adolescente et sa mère étaient dans la salle de consultation avec le médecin.
Dans la plus récente représentation, la caméra transporte les téléspectateurs directement dans la salle où se déroule la procédure et leur présente le portrait à la fois sensible et dur de cette difficile décision médicale.
Au fil de ces caractérisations, différents diffuseurs ont eu diverses réactions. Certains ont choisi d’apporter des modifications de sorte à, par exemple, ne pas présenter un manifestant tenant en main une petite poupée en forme de fétus. Dans le cas de la scène de la mère et sa fille dans la salle de consultation, Teen Nick (exploitée par Viacom) a décidé de ne pas diffuser l’épisode, jugeant que le personnage ne manifestait pas suffisamment de remords.
D’un épisode par semaine à l’écoute en rafale
L’évolution technologique a aussi eu une incidence sur la façon de raconter l’histoire de Degrassi. Prenez l’exemple de la plus récente itération, Degrassi: Next Class, disponible sur Netflix. Ce qui était jadis une série d’histoires présentées par les chaînes de télévision à raison d’un épisode par semaine est aujourd’hui accessible sur demande partout dans le monde. Les téléspectateurs ont donc l’option de s’installer confortablement sur le divan et d’écouter plusieurs épisodes l’un après l’autre.
« Nous sommes plus audacieux que jamais, affirme Schuyler. Mais nous avons dû changer nos façons de faire. » Après que les premières émissions ont été rendues accessibles sur Netflix en 2016, les premiers commentaires reçus de téléspectateurs concernaient le fait que la dynamique des relations entre les personnages qui avait caractérisé Degrassi pendant des décennies semblait devenue irréaliste.
Comme tout enseignant apprécié qui sait comment conserver l’attention de ses élèves dans la salle de classe, Schuyler et son équipe de créateurs ont donc peaufiné leur approche pour tenir compte d’un nouveau phénomène : l’écoute en rafale.
Par exemple, les turbulentes relations entre adolescents qui avaient le temps de se régler d’un épisode (et donc d’une semaine) à l’autre sont aujourd’hui présentées à l’écran sachant que certaines personnes regarderont plusieurs épisodes en rafale.
Pour citer un blogueur ayant évalué la plus récente incarnation de l’émission : [traduction] « Chaque fois que j’entame une nouvelle saison de Degrassi, j’ai l’impression de m’asseoir avec un ami de longue date. On se raconte les plus récentes anecdotes embarrassantes, on panse les plaies et on célèbre les victoires. »
En plus de Degrassi: Next Class, maintenant diffusée par Netflix, vous pouvez désormais revoir des épisodes intégraux de l’itération classique de Degrassi Junior High des années 1980, mettant en vedette les personnages tant aimés de Spike, Joey, Lucy, Caitlin et Wheels, grâce à la chaîne YouTube Encore+, rendue possible grâce à un partenariat entre le Fonds des médias du Canada, Google Canada, Deluxe Toronto, Téléfilm Canada et Bell Média.