Les machines qui prédisent ce que vous voulez voir
Il s’agit du troisième billet d’une série de trois approfondissant certains sujets abordés dans le rapport Découvrabilité : vers un cadre de référence commun. Dans ce billet, nous traitons des derniers développements en matière d’algorithmes dans le domaine de la recommandation.
À l’automne 2016, TiVo, le fabricant de l’un des premiers enregistreurs numériques personnels(ENP), annonce le lancement prochain d’une interface utilisateur nouvelle génération reconfigurée pour intégrer et uniformiser les contenus provenant de la télévision payante, de la télévision sur demande et des services de vidéo en ligne.
Dans son annonce, TiVo présente surtout une nouvelle fonctionnalité qui vise à grandement améliorer la découverte de contenu : Predictions, un moteur dont les recommandations sont le fruit d’une analyse fine des habitudes de consommation du téléspectateur – non seulement les contenus qu’il écoute, mais aussi les périodes de la journée auxquelles il écoute quoi et à quelle fréquence.
En lançant cette nouvelle interface utilisateur, cette entreprise fondée en 1999, qui a connu ses hauts et ses bas au cours des dernières années et a été rachetée par Rovi (qui a adopté TiVo comme raison sociale), veut transformer l’écoute de la télévision en une expérience conviviale et personnalisée.
D’autres entreprises sont actives dans le champ de la télévision personnalisée, cette application qui saura mieux que nous ce que nous avons envie de visionner. À la conférence de l’IBC(International Broadcasting Conference) tenue à Amsterdam en septembre 2016, les participants à une table ronde sur l’avenir de la télévision personnalisée se sont entendus sur un point : les systèmes de recommandation vont devenir de plus en plus « intelligents » et encore plus aptes à prédire les goûts des consommateurs.
L’expérience idéale, selon le PDG d’Android TV qui participait à la discussion, serait un assistant de contenu propulsé par l’apprentissage machine et qui ferait tout le travail de navigation à la place du téléspectateur. Mais pour en arriver là, les participants ont convenu que l’industrie devrait se préoccuper d’abord de faciliter la découverte de contenu avant d’inonder le public de nouveaux contenus.
Derrière la recommandation, une communauté de recherche internationale
À peu près au même moment, la communauté qui se penche sur les systèmes de recommandation se réunissait à Boston pour la 10e conférence annuelle « ACM Conference on Recommender Systems » organisée par l’Association for Computing Machinery (ACM).
La discipline des systèmes recommandeurs couvre un champ très large qui s’étend des services de rencontres en ligne (Match.com en particulier) au commerce électronique (Amazon étant le plus connu). En 2007, la première conférence avait duré deux jours et reçu 35 propositions de communications. Neuf ans plus tard, elle s’étendait sur cinq jours, avait reçu 294 propositions et était commanditée par Google, Spotify, Pandora, le groupe Alibaba, Netflix, Amazon et Microsoft, pour ne nommer que les plus connus.
La recommandation est une forme particulière de filtrage des informations qui, à partir de nos comportements passés, se sert de similitudes pour dresser une liste d’informations adaptées aux préférences d’un utilisateur donné. Dans un avenir rapproché, les systèmes recommandeurs ne se contenteront peut-être pas d’utiliser nos interactions avec les machines pour établir leurs listes personnalisées, mais exploiteront également des éléments mesurables de notre personnalité et de nos émotions.
Pendant la conférence de Boston, un atelier était consacré à cette question de la « personnalité dans les systèmes personnalisés ». Notre personnalité et nos émotions façonnent notre quotidien, explique-t-on dans la présentation de l’atelier, et elles influencent fortement nos préférences, nos décisions et notre comportement en général.
Au cours des dernières années, les émotions et la personnalité des utilisateurs ont commencé à jouer un rôle important dans les systèmes recommandeurs – un rôle consistant à analyser les données de mise en contexte comme le contenu choisi par un utilisateur ou le temps qu’il lui faut pour en prendre connaissance. Les recherches récentes dans ce domaine ont démontré que la personnalité d’un individu pouvait être associée à ses préférences en matière de genres musicaux. (Des recherches ont d’ailleurs démontré que les extrovertis préfèreraient la musique populaire, tandis que les gens peu ouverts aux nouvelles expériences préfèreraient la musique religieuse.)
L’atelier proposait de prendre en compte certaines avancées technologiques (l’enregistrement discret des émotions par des capteurs vidéo ou physiologiques, par exemple) pour générer de volumineux ensembles de données et améliorer les systèmes recommandeurs.
À la conférence de l’IBC, un représentant d’Android TV a d’ailleurs évoqué un scénario dans lequel les gens porteraient des capteurs pour permettre à leur téléviseur de prédire ce qu’ils souhaiteraient voir en fonction de leur humeur.
Le journaliste qui a fait le compte rendu de cette table ronde a jugé ce scénario plutôt farfelu, mais c’est tout à fait concevable dans un monde où les algorithmes peuvent être programmés pour prédire les comportements lors d’interactions entre humains, comme le démontraient récemment les chercheurs de la Computer Science and Artificial Intelligence Laboratory (CSAIL) du MIT.
Un marché en développement
Dans le rapport intitulé Découvrabilité : vers un cadre de référence commun, nous évoquions l’arrivée d’un marché des algorithmes :
Les algorithmes propriétaires – ces formules complexes et secrètes qui font le succès de Google et Facebook – sont en voie de devenir un actif extrêmement stratégique de l’économie numérique. Ils sont la clé de l’économie de demain, celle qui sera propulsée par les objets connectés et l’intelligence artificielle, croit le vice-président de la recherche de la firme de recherche et conseil en technologie avancée Gartner, Peter Sondergaard. Il prévoit une « économie des algorithmes » dans laquelle s’ouvriront de nouveaux marchés où seront négociés à fort prix les algorithmes les plus puissants.
Récemment, les investisseurs Elon Musk et Sam Altman ont financé Open AI, une startup qui se veut un marché ouvert d’algorithmes, dans le but avoué d’empêcher Google et Facebook de dominer le secteur de l’intelligence artificielle. Dans ce marché, tous peuvent télécharger un algorithme et tous peuvent payer pour l’utiliser.
Les algorithmes ne sont peut-être pas des formules magiques infaillibles, mais ils sont devenus un actif essentiel pour quiconque veut sortir triomphant de la quatrième révolution industrielle, la révolution technologique dans laquelle nous sommes engagés depuis quelques décennies selon le Forum économique mondial.