Les réseaux privés virtuels sont-ils légaux au Canada?
Vous avez peut-être intérêt à lire ce qui suit si vous en utilisez un pour accéder à la télé américaine…
L’évolution des réseaux privés virtuels (RPV, mieux connus sous l’appellation Virtual Private Networks ou VPN) représente l’exemple parfait de l’innovation dont sont capables les sociétés numériques pour donner une nouvelle utilité à une technologie en réponse à des besoins multiples. À l’origine, le RPV se voulait un moyen permettant d’effectuer des transactions en ligne ou d’accéder à des documents confidentiels de façon plus sécuritaire – particulièrement dans les environnements commerciaux. En masquant ou modifiant l’adresse IP, un RPV permettait à l’utilisateur de mettre ses données personnelles privées à l’abri des dossiers de son FSI, de protéger ses transactions en ligne de réseaux non sécurisés ou de sites nuisibles et de se doter généralement d’une couche d’encodage utilisant un protocole sécurisé. Sur le plan idéologique, les RPV peuvent aussi représenter une forme de démocratie numérique et de respect de la vie privée en plus d’être utilisés pour contourner la censure plus facilement.
Nonobstant de nobles intentions, des Canadiens utilisent des RPV pour accéder à la version américaine de Netflix, ainsi qu’à d’autres plateformes vidéo des États-Unis.
Et pourquoi pas? Les options en matière de RPV sont nombreuses et varient de services gratuits (utilisant pour la plupart des codes VPN piratés non fiables) à des services payants (en échange de frais mensuels moyens avoisinant les 5 $), on trouve sur YouTube des milliers de vidéos montrant comment utiliser un RPV et une simple recherche sur Google Trends montre la fréquence élevée à laquelle les gens cherchent « comment accéder Netflix US » au Canada, surtout depuis 2013.
Si vous ne voulez pas payer les 5 $, voici le service de RPV gratuit de Wajam qui – en plus d’intégrer les réseaux sociaux pour produire des recommandations de recherche plus pertinentes – comprime maintenant les données pour aider les utilisateurs à réduire leur utilisation de données, sécurise les détails au moyen d’identifiants Web et donne aux utilisateurs la capacité d’accéder aux sites Web exclusifs d’autres pays – le tout à partir d’une appli iOS pratique et élégante.
Tout cela semble si simple. Il suffit de masquer la localisation de votre ordinateur et de payer pour regarder le contenu géobloqué en ligne, n’est-ce pas?
Non, pas tout à fait...
En Occident, ce sont surtout des entreprises médiatiques/technologiques et des fournisseurs de services de diffusion en continu qui ont recours au géoblocage pour segmenter le globe afin de fixer des prix différents ou protéger des droits d’auteur et des restrictions dans l’octroi de licences. De plus, les entreprises qui utilisent le géoblocage sont régies par des modalités de service qui sont dans les faits violées lorsque des abonnés contournent le blocage géographique. Par exemple, Netflix n’autorise pas explicitement l’utilisation de RPV et l’utilisation d’un RPV constitue clairement une violation du contrat de service liant l’abonné au fournisseur. Mais Netflix serait-il prêt à faire face aux critiques s’il décidait d’annuler tous ces abonnements?
Une zone grise
D’une façon générale, il est légal d’utiliser un RPV pour protéger ses transactions en ligne. Cependant, la légalité d’utiliser un RPV aux fins d’autres activités en ligne demeure une zone grise. En août 2013, le juge Breyer est devenu le premier juge de district aux États-Unis à statuer que l’utilisation d’une technologie de masque pour contourner le blocage d’une adresse IP est en fait une violation de la Computer Fraud Act. Dans l’affaire en cause, il était question de l’utilisation d’un RPV pour accéder à des données privées et non pas de l’accès à du contenu géobloqué comme tel. La décision rendue par le juge rendait illégal de sciemment contourner un ou plusieurs mécanismes technologiques ou physiques conçus pour exclure ou empêcher l’accès non autorisé à des données.
Certains ont soutenu que les Canadiens qui utilisent des services de RPV pour accéder à la télé américaine pourraient bien être trouvés techniquement coupables d’une infraction criminelle en vertu du droit américain. Cependant, plus récemment dans un article publié par Forbes expliquant aux lecteurs américains comment utiliser un RPV pour regarder les Jeux olympiques de Sotchi, Mitch Stoltz, avocat auprès de la Electronic Frontier Foundation, a affirmé ceci : [traduction] « Bien qu’il existe des différences d’opinion entre les tribunaux quant à l’utilisation d’une technologie de masquage d’adresses IP pour accéder à certains sites, il est néanmoins assez bien établi qu’une simple violation des modalités de service à elle seule ne constitue pas une violation de la Computer Fraud and Abuse Act. »
Au Canada, la Loi sur le droit d’auteur et la Loi sur la protection des renseignements personnels numériques régissent comment les utilisateurs peuvent accéder à du contenu protégé par le droit d’auteur et le respect à la vie privée auquel les consommateurs de contenu en ligne sont en droit de s’attendre. De récentes modifications apportées aux deux lois préoccupent des experts canadiens en protection de la vie privée sur Internet comme Michael Geist, particulièrement en ce qui concerne des clauses ayant pour effet d’obliger les FSI à partager les données de leurs clients avec « toute organisation enquêtant une rupture de contrat ou la contravention possible d’une loi ». Initialement, l’utilisation d’un RPV excluait les consommateurs canadiens de l’obligation de divulguer leurs données personnelles au FSI traditionnel. Cependant, de nouvelles politiques pourraient aussi mettre les RPV sous examen et mener à la divulgation de données sur les activités en ligne de clients. Autrement dit, un RPV ou un FSI pourrait être contraint par voie de subpoena de fournir une liste de ses clients et des abonnés individuels pourraient faire l’objet d’enquêtes à leur insu. Ils courraient même le risque d’être formellement accusés d’infractions à la Loi sur le droit d’auteur.
Au Canada, les tribunaux n’ont pas encore été instruits d’une affaire similaire à celle ayant mené à la décision rendue par le juge Breyer qui établirait un précédent en matière de dispositions législatives régissant les activités menées en ligne sous le couvert d’un RPV. Cependant, il y a un précédent qui a été établi dans l’affaire de Voltage Pictures aux États-Unis ayant demandé à l’entreprise canadienne Teksavvy de lui divulguer les renseignements personnels d’abonnésqu’elle prétendait avaient violé la réglementation sur le droit d’auteur. La conclusion de cette affaire a contraint Teksavvy à remettre ses registres de données à l’entreprise américaine, mais moyennant des restrictions considérables, dont celle interdisant à Voltage Pictures de communiquer avec un abonné canadien sans que le texte de la correspondance ait préalablement approuvé par un tribunal canadien.
Même si le déploiement d’un service de RPV gratuit par Wajam peut être légal en propre, les abonnés canadiens qui l’utilisent pour accéder à du contenu géobloqué le font à leurs propres risques et périls. Il est possible que nous devions attendre à ce qu’un tribunal canadien instruise une première affaire en la matière avant de comprendre pleinement comment nos lois régiront l’utilisation de RPV pour accéder à du contenu géobloqué.