Pokémon GO et Stranger Things : miser sur la nostalgie

L’été 2016 aura été marqué par deux productions culturelles qui ont misé sur la nostalgie pour mousser leur popularité : l’application mobile Pokémon GO et la série de science-fiction Stranger Things de Netflix.

Lorsqu’elle est bien utilisée, la nostalgie peut devenir un puissant outil dans un modèle d’entreprise. Selon une étude du Journal of Consumer Research, les consommateurs dépenseraient plus quand ils se sentent nostalgiques. De plus, des recherches démontrent que l’expérience de la nostalgie peut nous aider à contrecarrer la solitude, l’ennui et l’anxiété en plus de nous rendre plus tolérants et généreux.

Dans le cas de l’application mobile Pokémon GO et de la série télé Stranger Things, force est de constater que la nostalgie a le pouvoir de toucher une corde sensible et émotionnelle chez toute une génération.

Pokémon GO

Une des principales raisons expliquant le succès de Pokémon GO réside en la relation nostalgique que le grand public entretient avec la franchise. Sinon, comment expliquer qu’Ingress – pourtant produit par le même studio et reposant sur les mêmes mécanismes de jeu – n’ait pas connu un succès similaire?

Pokémon vient juste de fêter ses 20 ans, et on comprend aisément pourquoi le jeu mobile remporte un succès fou auprès des 20 à 35 ans. Cette génération a été marquée par la Pokémania. Nick Johnson, le premier joueur à avoir collectionné tous les Pokémons dans Pokémon GO, avait huit ans quand la populaire franchise est sortie sur GameBoy Advance en 1996.

Une étude menée par la firme de sondage mfour démontre que 83 % des utilisateurs de Pokémon GO sont âgés entre 18 et 34 ans. Une autre étude de StartApp avance une proportion de 90 %. Cette génération, qui avait entre 5 et 15 ans à la fin des années 1990, est aussi celle des « digital natives » qui a grandi avec Internet et généralisé l’usage du mobile. Au Canada, les 18-34 ans constituent aujourd’hui le groupe le plus mobile, 95 % d’entre eux ayant accès à un téléphone intelligent (selon un sondage mené par l’OTM au printemps 2016).

Stranger Things

Sorti au beau milieu de l’été, Stranger Things avait suscité la curiosité du public par la diffusion d’une bande-annonce truffée de références au cinéma fantastique des années 1980 et multipliant nombre de clichés comme une bande d’amis dans une ville américaine isolée, une étrange apparition, une mère seule et un shérif droit dans une ambiance de guerre froide… Rien ne manquait pour mettre l’eau à la bouche des enfants des années 1980 qui ont grandi en relation fusionnelle avec le lecteur VHS dans le salon familial.

Stranger Things raconte l’histoire d’une bande de copains qui partent à la recherche d’un ami disparu mystérieusement. On pense ici aux films qui ont popularisé le genre comme Stand By Me (Rob Reiner, 1986) ou Les Goonies (Richard Donner, 1985). Les références et les clins d’œil visuels sont si nombreux et assumés que les internautes se sont amusés à les référencer. La référence la plus évidente est celle au film E.T. l’extra-terrestre.

L’autre force de la série est d’imaginer des personnages attachants, impeccablement incarnés et trop intelligents pour être cools à l’école. Ces héros de 12 ans, plus forts en mathématiques et en littérature qu’en sports, passent leur temps au club de radio ou à jouer au jeu de rôles l’Appel de Cthulhu dans le sous-sol de la maison familiale.

Cette anecdote n’est pas anodine puisque cette culture du sous-sol est celle du mystérieux héroïque, celle qui popularisera la lecture de Tolkien, des jeux Warhammer et qui propulsera plus tard des licences de jeu comme World of Warcraft et EverQuest. C’est cette même communauté de technophiles qui fera pression au début des années 2000 pour que Peter Jackson réalise la trilogie du Seigneur des Anneaux.

Ces jeunes technophiles sont aussi passionnés de technologie et utilisent au quotidien des walkies-talkies (le TRC-214 de Mike et Lucas) ou l’émetteur radio de l’école. La technologie permet à la série de cultiver la nostalgie avec des artefacts gravés dans toutes les mémoires : radiocassette Panasonic RX-5090, téléviseur Mitsubishi à écran de 22 pouces, téléphone filaire jaune, etc.

En situant son action dans une bourgade isolée des années 1980, où des événements paranormaux peuvent se dérouler sans que la planète entière soit immédiatement au courant, Stranger Things cultive la nostalgie de l’époque sans Internet qui n’est pas encore entrée dans l’instantané. La série oppose la radio à la diffusion en continu, le walkie-talkie au téléphone mobile, l’appareil photo Pentax à Instagram. Comme l’expliquent les frères Duffer, [traduction] « Nous aimions l’idée de reculer dans le temps — il s’agit sans doute d’une forme de nostalgie — à une époque où le téléphone cellulaire et Internet n’existaient pas .»

La formule semble avoir été gagnante puisque des données récoltées par la firme Parrot Analytics démontre que Stranger Things est la première série originale créée par un service de vidéo sur demande (VSD) à générer plus d’engouement sur les réseaux sociaux qu’une série télé traditionnelle.

Source : Parrot Analytics

Monétiser la nostalgie

La nostalgie est un puissant outil de marketing qui renvoie le consommateur à une époque à la fois révolue et idéalisée où tout semblait plus simple. Coca-Cola, Microsoft et Lego entre autres explorent le marketing de la nostalgie et puisent dans les souvenirs culturels positifs des décennies précédentes pour inspirer leurs campagnes.

Le terme est dérivé des mots grecs nostos (le retour à la maison) et algia (la douleur). Littéralement, la nostalgie consiste à souffrir avec bonheur, comme lorsqu’on retourne au foyer familial et retrouve sa vieille collection de cassettes VHS. Même si on se rend compte que le temps passe, on vit tout de même une expérience positive.

« À l’ère des technologies numériques impersonnelles, le tissage de liens sociaux par la nostalgie est un moyen facile pour les entreprises de profiter des souvenirs heureux associés au passé », soutient Lauren Friedman de Forbes.

Ainsi l’auditoire trouve dans la série télé Stranger Things et le jeu Pokémon GO un univers rassurant qu’il connaît par cœur. D’ailleurs, Netflix s’est lancé dans la production de « reboots »des années 1990 et 2000 comme Full House, Gilmore Girls et Twin Peaks


Fabien Loszach
Titulaire d’un doctorat en sociologie avec spécialisation dans les imaginaires sociaux, l’art et la culture populaire, Fabien Loszach travaille comme directeur de la stratégie interactive pour l’agence Brad et comme consultant dans les domaines médiatique et numérique. Il est aussi chroniqueur à l’émission La sphère consacrée aux cultures numériques et diffusée sur les ondes d’Ici Radio-Canada Première. Chaque semaine, il y traite d’un sujet d’actualité avec le regard d’un sociologue.
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