Premier profil de l’industrie de la créativité numérique du Québec: secteur en croissance cherche professionnels qualifiés pour relation créative

À la demande de Xn Québec – l’Association des producteurs d’expériences numériques –, notre collaboratrice a réalisé, conjointement avec Yuani Fragata et Francis Gosselin du Groupe Sage Consulting, l’étude intitulée Premier profil de l’industrie de la créativité numérique du Québec. Le document vise à brosser le profil de ce secteur qui a émergé il y a une trentaine d’années et qui est enregistre une croissance accélérée depuis dix ans.

Notre collaboratrice livre ici les résultats les plus intéressants de l’étude de même que quelques réflexions et constats tirés des conversations de l’équipe de rédaction avec une soixantaine de créateurs et d’entrepreneurs québécois de la créativité numérique.

Le plus difficile, au départ, a été de délimiter les contours de l’industrie qu’on voulait analyser: ce secteur connaît une effervescence si étroitement liée à l’avancement effréné des technologies numériques et à l’éclatement des formes de production et de diffusion de ses créations que ses frontières sont extrêmement floues.

C’est pour tenir compte de cette difficulté qu’il a été décidé de solliciter, en plus des membres de Xn Québec – des entreprises de l’écosystème des industries créatives, médiatiques et culturelles qui sont actives dans toutes les formes d’expression numérique – les membres de l’Alliance numérique, qui représente des entreprises du secteur du jeu vidéo, et de Coop La Guilde, une organisation qui regroupe plus de 130 studios indépendants de jeux vidéo.

L’inclusion des entreprises de jeux vidéo allait de soi: particulièrement au Québec, la croissance du secteur de la créativité numérique est attribuable en grande partie à l’essor du secteur du jeu vidéo au cours des dernières décennies, comme en fait foi d’ailleurs l’augmentation du nombre de studios – qui est passé de 48 en 2009 à 198 en 2017.

Cela dit, la créativité numérique ne s’exprime pas que dans les jeux vidéo. Jenny Thibault, directrice générale de Xn Québec, a déclaré au quotidien Le Devoir que «les œuvres pour les dômes, ça reste de la fiction ou du documentaire, mais c’est juste que l’écran n’est pas plat». Les œuvres numériques, ça reste des histoires qu’un créateur met en scène à l’aide de moyens technologiques. Parfois, l’écran n’est pas plat, parfois il n’y pas d’écran, mais des surfaces empruntées au mobilier urbain ou encore deux écrans miniatures insérés dans un casque qui immerge celui qui le porte dans une réalité virtuelle.

Les entreprises qui ont participé à l’étude exercent leurs activités dans les secteurs du jeu vidéo et de la XR (réalité virtuelle, augmentée et mixte), ainsi que dans les installations numériques, les environnements immersifs et interactifs, la production de baladodiffusions et de contenus linéaires pour des marchés en ligne et la création de portails Web ou d’applications mobiles. Elles ont en commun de réaliser des activités commerciales impliquant la production de contenus et d’expériences grâce à des outils informatiques et des technologies numériques. C’est la définition qui a été retenue pour désigner le secteur industriel dont il est question ici.

«les œuvres pour les dômes, ça reste de la fiction ou du documentaire, mais c’est juste que l’écran n’est pas plat»

Ces entreprises partagent également la plupart des caractéristiques des industries créatives, telles que définies par l’UNESCO. À la fois entreprises artistiques et entreprises industrielles tributaires de technologies de pointe, elles ont l’innovation et le renouvellement créatif inscrits dans leur ADN. Elles naviguent dans un environnement où, entre autres, la difficulté à prévoir le comportement du public rend les investisseurs potentiels frileux et où la valorisation de la propriété intellectuelle fait partie des enjeux importants de son développement.

Incidence économique

La deuxième difficulté à laquelle nous avons été confrontés: en raison de leur caractère innovateur et de leurs emprunts à divers secteurs plus anciens, les activités et entreprises du secteur ne sont pas compilées séparément dans les statistiques nationales, mais plutôt imbriquées par défaut dans divers secteurs et sous-secteurs. C’est d’ailleurs ce que constatait récemment la Commission européenne au sujet des secteurs de la culture et de la création: «Les difficultés auxquelles ces secteurs sont confrontés sont aggravées par le manque de données et d’informations claires les concernant, ce qui limite la capacité des bailleurs de fonds à reconnaître leur potentiel, ainsi que par d’autres obstacles législatifs, tels que les droits de propriété intellectuelle, la disparité des régimes fiscaux et les questions de mobilité.»

Dans ces conditions, définir avec précision la taille du secteur de la créativité numérique et l’étendue de son empreinte économique se révèle un exercice particulièrement complexe.

Malgré que les activités et les entreprises du secteur de la créativité numérique ne sont pas recensées séparément dans le Système des comptes économiques nationaux du Canada (SCENC), il est néanmoins possible d’évaluer cette empreinte économique en utilisant les résultats financiers des trois dernières années fournis anonymement par les entreprises sondées. On estime ainsi que le secteur québécois de la créativité numérique a contribué au moins 1,25 milliard de dollars à l’économie québécoise et enregistré une croissance de près de 50% depuis 2015.

Portrait 

L’industrie de la créativité numérique est une jeune industrie, constituée d’entreprises ayant en moyenne dix ans d’existence, parmi lesquelles 20% ont moins de trois ans.

C’est une industrie de très petites entreprises: la moitié comptent moins de dix employés et jusqu’à 90% des entreprises sondées font appel à des pigistes. Entre 2015 et 2018, le nombre de pigistes employés par ces entreprises a augmenté de 66%, et le budget moyen dédié par ces entreprises à l’embauche de pigistes a augmenté de 20%, (alors que leur masse salariale a augmenté de 25% au cours de la même période).

C’est une industrie où plusieurs entreprises fonctionnent selon un modèle hybride entre production originale et production de service, ce qui a permis à un peu plus du tiers d’entre elles de s’autofinancer.

C’est une industrie dynamique qui a affiché une marge bénéficiaire nette de plus de 10% en 2018 pour 42% des répondants (comparativement à seulement 20% des entreprises en 2015).

Enjeux: main d’œuvre et financement

Au premier chef, ce sont les problèmes de main d’œuvre, autant sur le plan du recrutement que sur ceux de la rétention et de la formation, qui préoccupent pratiquement tous les participants à l’étude.

Ce constat est corroboré par Suzanne Guèvremont, directrice générale de Synthèse Pôle Image, un pôle en arts et créativité numériques créé par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec, qui a été invitée par Infopresse à commenter cet aspect de l’étude. En matière de recrutement, fait-elle remarquer, il faut également prendre en compte les «industries connexes qui pigent dans le même bassin de talents, comme l’aéronautique pour la création de simulateurs de vols, ou encore la santé, pour des protocoles opératoires.»

Cette difficulté à recruter les bons éléments est amplifiée par la situation de la formation dispensée par les établissements d’enseignement. Plusieurs des répondants déploraient le retard des établissements spécialisés par rapport aux rapides développements technologiques. Mme Guèvremont s’attend d’ailleurs à ce qu’une pression à la hausse s’exerce sur ces établissements: «D’une part, pour augmenter le nombre de diplômés et, d’autre part, pour améliorer la qualité des formations pour s’assurer qu’elle soit en adéquation avec les besoins des entreprises».

Dans cette industrie où tout repose sur la créativité, l’innovation et les technologies de pointe, les dirigeants rencontrés ont souvent exprimé leur frustration face à la méconnaissance qu’ont les organismes de soutien et de financement, dont notamment les banques et les fonds d’investissement, de leur réalité et de leurs marchés. En outre, la transformation constante des technologies, des marchés et des modèles d’affaires, fait en sorte que les outils et programmes de financement soient souvent mal adaptés aux besoins des entrepreneurs de la créativité numérique. C’est particulièrement vrai pour les secteurs qui en sont encore au stade de développement comme celui de la réalité virtuelle (souvent, on ne comprend pas pourquoi il faut deux ou trois ans pour développer un projet, a remarqué un entrepreneur de ce secteur.) Cependant, ce l’est également pour un secteur plus mature comme celui du jeu vidéo, qui vit aussi sa part de transformations rapides.

En raison de ce manque de compréhension et de connaissance, les investisseurs potentiels se tiennent loin des occasions d’investissement. C’est peut-être ce qui explique pourquoi le nombre de studios de propriété canadienne de taille moyenne ou grande est très petit et pourquoi plusieurs entreprises du secteur ont été acquises par de grands groupes étrangers, dont Beenox (achetée par Activision en 2005), Compulsion Games (achetée par Microsoft en 2018) et Behaviour (dont 20% du capital-actions a été cédé à la chinoise GAEA Interactive Entertainment en 2018).

Comme l’a souligné l’un des participants à l’étude, cet intérêt provenant de l’étranger pour ces entreprises est pourtant une preuve du potentiel de l’industrie québécoise de la créativité numérique.

C’est une industrie victime de son succès : plusieurs répondants ont fait état de la difficulté à gérer la croissance d’entreprises qui naviguent entre production culturelle et artistique et impératifs industriels et technologiques, dans un contexte où les clients et les établissements ne savent pas toujours comment les étiqueter.

Enfin, dans ce secteur où l’innovation est imbriquée dans la raison d’être des entreprises, la pire concurrence n’est peut-être pas celle qu’on pense: notre pire concurrence, ont souligné quelques participants, c’est la mauvaise qualité. «Si les gens associent la technologie à du mauvais contenu, la technologie sera vouée à l’échec.»


Danielle Desjardins
Danielle Desjardins offre des services d’analyse, de recherche et de rédaction aux entreprises et organisations des secteurs médiatiques et culturels par le biais de son entreprise La Fabrique de sens. Auparavant, elle était directrice de la planification à Radio-Canada, où, pendant une vingtaine d’années, elle a été responsable de dossiers stratégiques, institutionnels et réglementaires.
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