Prospective: quel(s) futur(s) pour l’industrie du divertissement?
La définition de «divertissement» est en pleine mutation, laquelle bouleverse les industries et les comportements des auditoires. Dans nos secteurs créatifs, des artistes hors norme repoussent les frontières de la narration, en mettant à profit leur compréhension profonde des consommateurs et en tirant partie de la technologie pour concrétiser leur vision ultime de ce qu’est une histoire.
L’avenir du divertissement est lui-même un récit en perpétuelle évolution. Mais il est probable que ce qui émergera au cours des 10 prochaines années sera issu des thèmes abordés dans le présent article.
Quand le récit inspire l’innovation
Ted Schilowitz, futuriste en résidence à Paramount Pictures, s’intéresse à tout ce qui se situe au carrefour de l’humanité et de la technologie. Selon lui, les storytellers devraient d’abord réfléchir au récit qu'ils souhaitent mettre de l'avant avant de définir les outils et les modes de distribution qui serviront à raconter cette histoire: «Les groupes et les esprits créatifs qui se concentrent sur la mythologie du récit et cherchent essentiellement à comprendre l’équation humaine tendent à mieux tirer parti des technologies innovantes que ceux qui essaient d’utiliser la technologie dans le but de créer un récit.»
Des histoires aux formes et aux points d’entrée multiples
«Les artistes contemporains ont une multitude de points d’entrée à un récit et cultivent simultanément différentes possibilités d’intrigues», explique Phoebe Greenberg, fondatrice et directrice du Centre Phi et de la Fondation Phi pour l’art contemporain, des organisations vouées à la création et à la diffusion des arts innovateurs ainsi qu’à la sensibilisation du public à leur égard.
La mécène ajoute que ces artistes «songent à diverses passerelles pour exprimer des idées à l’aide des outils de narration modernes, que ce soit dans les mondes de la réalité virtuelle, du théâtre ou son immersif, du cinéma traditionnel ou des événements live».
Plus un récit compte de points d’entrée et de formes, plus il y aura de segments d’auditoire qui pourront s’y intéresser de la façon qui leur convient le mieux.
Trend Hunter est un accélérateur d’innovation qui offre aux entreprises des services de recherche, des ateliers et des événements. Courtney Scharf, première vice-présidente du département de recherche, explique que les événements qui offrent de nouveaux points d’entrée à une expérience de divertissement, comme la boutique éphémère YouTube House, «répondent au souhait des consommateurs qui veulent voir leurs intérêts en ligne se concrétiser dans la vie réelle, où ils pourront interagir avec d’autres amateurs. J’avais hâte de voir le Reality Bar de Xfinity, un lieu qui offre une expérience de type bar sportif aux amateurs de téléréalité.»
Scharf ajoute: «Prenons l’exemple de Harry Potter: le nombre de lieux qui proposent une expérience pour les fans en dehors des parcs thématiques est époustouflant. Dans les derniers mois seulement, bon nombre de festivals de bière, de brunchs et de cafés destinés aux inconditionnels du sorcier ont fait leur apparition. Voilà qui est impressionnant pour une franchise dont le dernier opus est sorti il y a plus de huit ans. Il y a un aspect très tribal dans l’obsession que portent les amateurs à des émissions ou à des films — et même à des balados de nos jours. Je pense que nous pourrions encore voir croître le nombre de façons qui permettent aux fans de s’engager envers une franchise en particulier.»
«Nous observons à l’heure actuelle une épidémie de solitude qui n’est destinée qu’à empirer et, plus que jamais, les gens sont avides de relations significatives.»
Le divertissement comme mécanisme d’interaction sociale pertinente
«À chaque génération, nous constatons une transformation des expériences médiatiques, explique Ted Schilowitz. Les écarts se creusent entre les générations en ce qui a trait à la façon dont chacune consomme une histoire, à la quantité de contenu offert aux auditoires, à la façon d’y accéder et à la construction de la sphère sociale autour de ce contenu.» Les écrans traditionnels ont toujours la cote auprès de la plupart des adultes qui ont grandi il y a des décennies, mais les jeunes d’aujourd’hui interagissent avec les récits en regardant les diffusions en continu sur Twitch ou en construisant des mondes dans Minecraft.
La décomposition du divertissement a le potentiel d’établir des ponts entre les générations en liant chacune à une histoire par le truchement de la multiplication des formats et des points d’accès à celle-ci, à la maison ou à l’extérieur.
De son côté, Scharf souligne l’importance croissante du divertissement qui nous garde en contact: «Nous observons à l’heure actuelle une épidémie de solitude qui n’est destinée qu’à empirer et, plus que jamais, les gens sont avides de relations significatives. Il est difficile de croire qu’une telle situation n’aura aucune incidence sur un secteur comme le divertissement, dont le principal objectif est de permettre aux spectateurs de se sentir bien.» Elle s’attend à un essor des expériences de loisir expressément conçues pour briser l’isolement.
Carolyn Merriman est productrice exécutive à Future of StoryTelling (FoST), un organisme de premier plan qui explore et célèbre la narration de la prochaine génération et qui croit fermement que l’avenir de la narration est multiplateforme. Selon elle, les auditoires commencent un peu à sortir de leurs caves numériques solitaires pour retourner dans le monde physique et interagir en personne avec les autres, dans la vie réelle, que ce soit dans le cadre d’une expérience immersive comme Museum of Ice Cream et House of Eternal Return de Meow Wolf, ou par l’ajout d’éléments numériques à la vie réelle, comme dans Pokémon Go.
Le désir de liens significatifs pourrait également alimenter l’évolution des plateformes de divertissement. Greenberg estime que la solitude et l’isolement, couplés à l’absence de mentorat, risquent de réduire les normes d’excellence et de qualité. «Dans le torrent actuel d’information, il sera de plus en plus difficile de s’y retrouver. Nous sommes moins en phase que nos pairs des décennies précédentes et il est difficile d’organiser soi-même sa consommation de culture en ce qui a trait à la détermination des priorités. Dans ces domaines, la curation et la conceptualisation continueront de prendre de l’importance, au fur et à mesure que l’expérience humaine vécue grâce à ces technologies donne lieu à des communautés d’échange et d’idées.»
«en100 ans, les écrans n’ont quasiment pas changé.»
L’écran... sans écran
Schilowitz indique: «Depuis 100 ans, les écrans n’ont presque pas changé: il s’agit de rectangles de tailles variées qui se sont matérialisés dans différents endroits et sur différents appareils. Mais l’arrivée prochaine de l’“écran sans écran” marquera une rupture avec les innombrables versions du fameux rectangle. Cet écran pourra être porté sur soi afin de nous permettre d’entrer dans le divertissement. Il y aura deux formes dominantes: la réalité mixte et la réalité virtuelle.» La première, dans laquelle la réalité est augmentée par des superpositions numériques, «remplace la dynamique comportementale relative aux écrans». De son côté, la réalité virtuelle remplace le désir des utilisateurs de «se trouver dans un lieu de divertissement pendant un moment».
Schilowitz ajoute: «D’ici 2030, 90% de mon univers me semblera mieux dans cet appareil vestimentaire à haute résolution léger, confortable et intelligent. Ce sera simplement un environnement informatique prêt-à-porter. Et cet environnement informatique sera mon environnement pour tout. Mon environnement de divertissement. Mon environnement social. Mon environnement de travail.»
Lorsqu’une histoire se déroule dans une réalité mixte, le moment et la façon dont elle se déroule gagnent en importance. Le contexte environnemental et social constitue alors des éléments uniques de l’expérience de divertissement, qui n’est plus confinée à des salles sombres sans autre distraction sensorielle.
«Les gestes, la voix et le contact visuel constituent des façons beaucoup plus humaines d’interagir.»
Des interfaces instinctivement intuitives
Une expérience de divertissement ne repose pas uniquement sur ce que le spectateur voit. Les interfaces intuitives sont essentielles pour qu’il puisse plonger dans l’histoire et y jouer un rôle.
«Chez FoST, nous parlons souvent du fait que bon nombre des interfaces actuelles ne sont pas naturelles, confie Merriman. Nous sommes trop souvent penchés sur un ordinateur ou un téléphone. Les gestes, la voix et le contact visuel constituent des façons beaucoup plus humaines d’interagir. Les interfaces neurales constituent la version extrême de cette réalité. Il s’agit d’interfaces cerveau-ordinateur qui permettent de faire fonctionner un ordinateur avec la pensée. Les nouvelles applications les plus prometteuses font leur apparition évidemment dans le secteur de la santé, notamment celles qui permettent aux personnes paralysées de communiquer.»
Les expériences de divertissement innovatrices se vivent sans télécommande ni manette de jeu. Exemples: St. Noire, un jeu de société de type mystère qui se joue avec l’assistant vocal Alexa d’Amazon; The VOID, qui permet aux visiteurs de découvrir un monde virtuel superposé à l’espace physique simplement en se promenant; ou encore Mechanical Souls, qui offre à ses membres des intrigues uniques en fonction de leur regard dans l’expérience de réalité virtuelle.
Des expériences personnalisées
«La technologie et le jeu initient les utilisateurs à l’interaction virtuelle, explique Greenberg. La réalité augmentée et virtuelle, la reconnaissance faciale et les avatars offrent une multitude de portes pour pénétrer dans un récit qui influent sur le point de vue du storyteller et de l’auditoire grâce à des intrigues adaptables.»
La technologie permet à des personnages virtuels de reconnaître un membre de l’auditoire ou ses émotions et d’y réagir, ce qui crée des interactions personnalisées virtuellement réelles. Il est également possible de personnaliser une intrigue en fonction de l’utilisateur. Merriman est très enthousiaste relativement à ce que l’intelligence artificielle (IA) peut faire pour faire débloquer une expérience personnalisée. «Je crois que les percées radicales en IA permettront sans aucun doute d’offrir aux utilisateurs des possibilités captivantes d’entrer dans une histoire et d’interagir avec les personnages de façon pertinente.»
L’intégration d’acteurs qui improvisent en temps réel pour offrir chaque fois aux utilisateurs une expérience unique est également expérimentée. Par exemple, le Centre Phi a présenté l’expérience Horrifically Real Virtuality de DVgroup. Greenberg précise que l’œuvre allie prestation d’acteurs et réalité virtuelle, scénographie classique et décors virtuels, et permet de plonger dans l’atmosphère du récit avant qu’il ne commence.
L’hôtel de Disney sur le thème de Star Wars, qui ouvrira bientôt ses portes, constitue un autre exemple fort attendu. Dès l’enregistrement, les clients seront plongés dans une expérience théâtrale immersive qui durera pendant tout leur séjour. Cette expérience sera unique à chacun des visiteurs.
Des plateformes qui permettent aux auditoires de raconter leurs propres histoires
Scharf observe une tendance générale vers l’ajout de sens aux expériences offertes. «Il y a même des exemples de divertissements qui aident les consommateurs à raconter leurs propres histoires, comme les ‟musées” pensés pour Instagram qui ont eu la cote l’an dernier. L’idée a été reprise, mais ces autres expériences étaient plutôt édulcorées. Il était trop évident qu’elles avaient été conçues uniquement pour que les visiteurs puissent prendre le meilleur selfie. Je pense toutefois que nous verrons apparaître des offres qui permettent à la fois de prendre de bonnes photos et de vivre des expériences captivantes.»
«La narration participative continuera de croître, estime pour sa part Merriman. Il pourra s’agir de narrations riches dans le monde du jeu ou de la montée de nouvelles plateformes comme TikTok, qui permettent aux utilisateurs de devenir des créateurs et des distributeurs de contenu.»
«Inévitablement, nous devrons changer lorsque l’ère de l’intelligence artificielle créative débutera.»
Des histoires ayant un esprit qui leur est propre
Pietro Gagliano est cofondateur du studio Secret Location et fondateur de Transitional Forms, un nouveau studio-laboratoire axé sur la création du divertissement de demain à l’aide de l’IA.
Son équipe ne se contente pas d’offrir une expérience de divertissement personnalisée; elle travaille à l’expérience immersive Agence, actuellement en production, avec l’Office national du film. Gagliano explique que, «grâce à ses personnages mus par l’IA, à une cinématique à génération procédurale et à sa bande sonore dynamique, le film est unique à chaque visionnement. Il a, en substance, un esprit qui lui est propre.»
Transitional Forms mène des expériences dans lesquelles l’intelligence artificielle remplace les réalisateurs, les monteurs ou les cadreurs humains. Gagliano prévoit que les secteurs qui sont habitués aux formats linéaires devront inévitablement changer lorsque l’ère de l’intelligence artificielle créative débutera.
Les nouveaux moments pour la consommation de contenu
Quels autres moments serait-il possible d’améliorer par de nouvelles formes de divertissement? Reed Hastings, chef de la direction de Netflix, aurait dit que son entreprise était en concurrence avec le sommeil. Dans l’avenir, verrons-nous apparaître la possibilité de faire le rêve de nos rêves?
En attendant, des sociétés comme Peloton songent aux prochaines expériences de divertissement participatif qu’ils pourraient offrir à leurs utilisateurs qui s’entraînent à la maison. Les fabricants de voitures ont ajouté des écrans pour les passagers et, maintenant, Elon Musk intègre la diffusion par Netflix et YouTube à ses Tesla.
Scharf a hâte de voir le produit que Holoride met au point pour les véhicules sans conducteur: «L’entreprise prépare une expérience de RV destinée aux passagers des véhicules sans conducteur. Elle envisage d’incorporer les mouvements de la voiture en temps réel pour que l’expérience semble encore plus réelle. Ce concept est vraiment cool.»
Déjouer l’obligation perpétuelle de mise à niveau
Les entreprises les plus prospères dans le domaine du divertissement sont celles qui affectent des employés à l’étude et à l’essai des formes actuelles et émergentes de divertissement et des outils de création de contenu. C’est exactement ce à quoi Schilowitz et son équipe se consacrent. Il explique: «Si vous n’avez pas le temps d’en apprendre sur les nouveautés, vous n’en saurez pas assez pour en tirer profit.» Si l’on passe peu de temps à regarder la télévision, que l’on voit peu de films ou que l’on se contente de lire des rapports, on n’en apprendra pas sur les possibilités et les pensées novatrices qui feront des vagues dans l’industrie.
Les sociétés les plus fructueuses ont mis en place une infrastructure destinée aux nouvelles formes de divertissement et à leur consommation. Apple, Google, Valve et Disney sont les principaux exemples. Schilowitz précise: «Disney sait comment enchanter les auditoires. La société a une longue histoire à l’extérieur du schème ‟allons dans une salle pour regarder un écran”.» En effet, elle a une bonne compréhension de toutes les formes de divertissement et des comportements des consommateurs à leur égard, qu’il s’agisse de parcs thématiques, de manèges, de films, d’émissions de télévision, de musique, de produits de consommation, de diffusion en continu, etc. Cela fait des décennies que Disney en apprend à ce sujet et joue avec différentes moutures d’expériences narratives.
Il ne s’agit plus de créer des histoires pour les spectateurs. Il s’agit de personnaliser des moments et des liens mémorables. Nous y parviendrons main dans la main avec les auditoires, avec les technologies conçues pour combler les écarts entre l’imaginaire des raconteurs les plus créatifs et les possibles d’aujourd’hui.