Stratégies de développement, de financement et de distribution en réalité étendue

Dans un marché jeune comme celui de la réalité étendue (XR), le développement, le financement et la distribution doivent être considérés comme un tout. Tour d’horizon de stratégies à adopter par les producteurs qui souhaitent mener leurs projets à terme.

Multiplier les sources de financement

S’il était parfois possible de trouver une source de financement unique pour boucler le budget des premiers projets en réalité virtuelle, les réalités du marché actuel forcent plutôt les producteurs à cumuler les sources, tant privées que publiques.

Plusieurs bourses privées sont généreuses. Le fonds Epic MegaGrants compte par exemple remettre 100 millions de dollars américains au cours des cinq prochaines années à des projets utilisant les technologies d’Epic, le studio derrière le moteur de jeu Unreal et le jeu Fortnite. Il ne s’agit pas d’un prêt, ni d’un investissement, mais bien d’un don.

Oculus, avec le Launch Pad, et Magic Leap, avec l’Independent Creator Program, offrent également des programmes de soutien financier aux studios.

«Plusieurs pays offrent aussi des subventions publiques et des fonds liés aux diffuseurs», explique Antoine Cayrol, cofondateur de la compagnie de production Atlas V, lors d’un panel organisé récemment à l’occasion de Mutek 2019.

Le Centre national du cinéma et de l’image animée en France (CNC) offre par exemple le Fonds d’aide aux Expériences Numériques, avec des aides au développement, à l’écriture et aux productions. Au Canada, le Fonds des médias du Canada (FMC) finance lui aussi des productions en réalité étendue.

Trouver des coproducteurs permet non seulement d’obtenir plus facilement ce financement public, mais aussi de partager le risque entre plusieurs partenaires. C’est la stratégie habituellement adoptée par Atlas V.

Leur film Battlescar, par exemple, compte quatre producteurs différents, trois sources de financement privé (YouTube, Ryot, Arte) et deux sources de financement public, le tout pour un budget de 1 million d’euros.

Déployer son travail au-delà de la réalité virtuelle

Le contenu produit pour la réalité virtuelle peut souvent être réutilisé sur d’autres plateformes, comme celles de réalité augmentée. Pour les gros producteurs, c’est désormais une nécessité.

«Si un créateur vient nous voir et qu’il n’est intéressé que par la réalité virtuelle, nous n’allons pas faire son projet», avoue Antoine Cayrol.

Au Canada, Felix & Paul Studios est arrivé à la même conclusion. Le prochain projet du studio, une marche spatiale en réalité virtuelle, sera diffusé en ligne, mais ce ne sera probablement pas tout. «Il y a aussi des dômes, du matériel éducatif, des musées et des lieux physiques qui pourraient être intéressants. C’est à ça que nous réfléchissons en ce moment», explique le cofondateur du studio Stéphane Rituit.

La petitesse du marché incite aussi les créateurs à maximiser leurs propriétés intellectuelles, notamment en les déployant d’une façon plus traditionnelle. «Nous essayons de faire une série télé avec notre film Traveling While Black», illustre le cofondateur de Felix & Paul.

Certaines créations peuvent aussi être vendues en pièces détachées, par exemple en monétisant les objets créés en 3D sur une plateforme comme Unreal Engine Marketplace. Une pomme modelée en 3D pour un film peut ainsi être revendue pour quelques dizaines de dollars à un studio de jeux vidéo, qui pourra l’utiliser comme bon lui semble. Ce ne sera pas suffisant pour payer les frais d’une production, mais cela pourrait tout de même assurer de petits revenus récurrents par la suite si l’objet gagne en popularité auprès des développeurs.

Cogner à toutes les portes (en attendant les distributeurs)

Le rôle de distributeur traditionnel n’existe pas en réalité étendue. Du moins, pas encore. En attendant, la création, le financement et la distribution sont tous interreliés pour les studios, qui doivent considérer ces volets comme un tout, dès le début du projet.

L’absence de distribution signifie aussi que les producteurs doivent cogner à de nombreuses portes pour diffuser leurs créations, du moins s’ils souhaitent rejoindre le plus large public possible.

À Montréal, un lieu comme le Centre Phi permet par exemple de présenter son œuvre dans une installation pendant plusieurs mois. «On paye une redevance à l’artiste, et on prend en charge tous les coûts reliés à l’installation de l’œuvre, à la scénographie et à la technologie», explique Myriam Achard, chef des partenariats nouveaux médias pour l’organisme. Le Centre Phi organise aussi depuis peu des expositions à l’étranger, ce qui représente une autre opportunité pour les créateurs.

Malheureusement, ces centres sont encore rares. «J’essaie toutefois de créer un regroupement de lieux comme le nôtre. Une œuvre pourrait ainsi être présentée au Centre Phi, puis partir en tournée dans les autres» note Myriam Achard.

Dans certains secteurs, des agents peuvent aussi représenter le contenu de producteurs auprès de joueurs spécialisés. Jimmy Cheng, directeur du contenu de l’entreprise Iconic Engine, représente ainsi les créateurs auprès des entreprises de télécommunications qui possèdent des plateformes de réalité virtuelle, comme Orange, Deutsche Telekom et SK Telecom.

«Un opérateur ne peut pas contacter 100 studios pour acquérir les droits d’un ou deux projets. Ce serait trop de travail», explique celui qui a réussi à monétiser pour 400 000 dollars américains de la sorte à ce jour.

D’autres marchés spécialisés existent, comme les arcades en réalité virtuelle, les plateformes de réalité virtuelle pour les avions, les festivals et plus.

S’adapter à des stratégies de financement en mouvement

Chaque source de financement a ses propres objectifs qu’il faut prendre en considération lorsqu’un projet est soumis. «Une entreprise comme Oculus ou Google va vouloir mettre en valeur les innovations de son prochain casque, qui doit généralement sortir dans quelques mois», observe Stéphane Rituit de Felix & Paul Studios. D’autres voudront mettre en valeur une technologie connexe, comme la 5G, ou au contraire miser sur le côté artistique.

«C’est un peu comme un sable mouvant. La stratégie de ceux qui offrent du financement change constamment», ajoute Antoine Cayrol d’Atlas V. Pour ce dernier, il est d’ailleurs important de rester en communication avec tous ses partenaires potentiels: «Il faut constamment prendre de leurs nouvelles, même s’ils ont déjà dit non. Ils vont évoluer […] Moi, je cogne à leur porte tous les six mois. Je veux être le premier présent la prochaine fois qu’ils vont changer d’idée.»


Maxime Johnson
Maxime Johnson est un journaliste indépendant spécialisé dans l’analyse et l’observation des nouvelles technologies. Il signe une chronique dans le journal Métro et dans le magazine L’Actualité, en plus de collaborer à plusieurs magazines spécialisés comme Protégez-vous. On peut aussi l’entendre à la radio, notamment à l’émission La sphère sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première.
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