Le style «tourné à la maison» devrait-il survivre à la pandémie? Oui, mais…
On assiste actuellement à une lente reprise des productions en prises de vue réelles, qui doivent toutefois se conformer à des règles strictes afin d’enrayer la propagation de la COVID-19. Or, compte tenu de la nouvelle réalité, doit-on s’attendre à ce que les types de productions auxquelles nous étions habitués avant la pandémie captivent toujours autant les auditoires? Dans certains cas, la réponse pourrait surprendre.
Les jeunes générations attirées par un contenu authentique
La firme d’études de marché Magid a récemment révélé qu’une majorité des adultes âgés de 18 à 49 ans, un créneau prisé des annonceurs, souhaite que les productions de style «tourné chez soi» perdure, du moins en partie, après la pandémie. D’ailleurs, 30% et 35% respectivement des millénariaux et de la génération Z tiennent à ce que ces styles populaires durant la crise survivent à cette dernière.
Près de la moitié de chacun de ces deux groupes a d’ailleurs éliminé la télé traditionnelle de son quotidien pour plutôt privilégier le style brut et improvisé caractéristique de plateformes telles que TikTok et YouTube. Il n’est donc pas surprenant que le style «tourné chez soi» soit particulièrement prisé par ces auditoires.
Mike Bloxham, vice-président principal, médias et divertissement chez Magid, souligne toutefois qu’il faut éviter de prendre l’expression «tourné chez soi» trop littéralement. «On ne parle pas nécessairement de contenu produit dans une maison», dit-il. Ce qu’il faut retenir, en fait, c’est que les auditoires sont en quête d’authenticité. Or, certains aspects du style maison répondent à un tel besoin davantage que les productions habituelles.
«Le fait de voir les célébrités dans leur propre foyer, souvent sans maquillage ou éclairage sophistiqué, a séduit beaucoup de gens, observe Bloxham. Ces derniers y ont perçu un degré inhabituel d’authenticité et de proximité. Ces vedettes nous ressemblent alors davantage, et on les constate dans la même situation que nous.» Qui plus est, un aspect visuel qui évoque des images tournées à la main donne l’impression que c’est la célébrité elle-même qui a produit la vidéo. Le fait que celle-ci s’adresse directement à la caméra est perçu comme si «elle faisait un effort sincère pour établir un lien avec l’auditoire», un autre avantage de cette approche. Enfin, la présence des célébrités dans leur propre maison, plutôt que sur un plateau de tournage, vient satisfaire la curiosité de l’auditoire quant à l’environnement dans lequel leurs vedettes préférées évoluent au quotidien.
Un autre phénomène auquel on a assisté durant la pandémie et le contexte politique tendu qui en a découlé est l’émergence de points de vue exprimés sans filtre ni retenue. Ainsi, les auditoires se sont identifiés plus que jamais aux célébrités qui, devant la caméra, n’ont pas hésité à exprimer leurs opinions, célébrer les héros et condamner la haine. Selon Bloxham, ces gens jouissent d’une grande crédibilité auprès de leur auditoire du fait qu’ils «donnent l’impression que leurs opinions sont sincères et viennent du cœur». Par exemple, Trevor Noah n’hésite pas à repousser les limites durant son émission en partageant son opinion sur des sujets chauds qui sont tout sauf amusants.
«Tourné chez soi», mais pas dans tous les genres
Les productions de type «tourné chez soi» ne conviennent toutefois qu’à certains genres d’émissions. Fait intéressant: dans les cas où l’auditoire a dit préférer un retour à des productions plus sophistiquées, au moins la moitié souhaite tout de même l’intégration à ces émissions d’éléments du style maison.
Or, le fait d’offrir aux auditoires une plus grande variété de styles pourrait contribuer à les fidéliser davantage à une propriété intellectuelle. Par exemple, comme la génération Z tend à privilégier les contenus authentiques de courte durée, une émission qui cible habituellement un auditoire plus âgé pourrait intégrer des éléments de style «tourné chez soi» pour ainsi attirer d’autres créneaux en fonction d’intérêts communs.
Il importe cependant de souligner qu’une telle approche ne s’applique pas à tout type de programmation. Bloxham souligne entre autres que «les contenus scénarisés ne se prêtent pas à ce genre d’initiative. Par contre, divers formats non scénarisés peuvent très bien convenir, et les auditoires s’y sont d’ailleurs montrés très réceptifs».
Bloxham ajoute que «les émissions déjà solidement établies qui tentent de modifier leur format pour assurer leur survie seront inévitablement confrontées au jeu de la comparaison. Si leur auditoire est habitué à un niveau de qualité très élevé et qu’on leur offre un produit spectaculaire, c’est à cela que devra se mesurer toute intégration d’éléments moins léchés — et les téléspectateurs pourraient ne pas y être très réceptifs».
Afin d’assurer une impression d’authenticité, il importe que le style de production privilégié soit naturellement adapté au contenu. Un exemple serait d’intégrer à une compétition musicale télévisuelle d’envergure des images des participants ayant filmé eux-mêmes leur audition chez soi. Toutefois, si ce qui attire l’auditoire est le fait d’assister à de belles performances livrées devant un public enthousiaste, les créateurs de l’émission doivent s’assurer de combler ces attentes. Ainsi, il paraît beaucoup plus naturel et authentique de voir l’animateur Stephen Colbert livrer le monologue d’ouverture de son émission The Late Show vêtu d’un complet cravate et allongé dans son bain, que d’assister à la grande finale d’American Idol… tournée chez chacun des concurrents.
Miser sur l’authenticité pour accroître la rentabilité
Selon Bloxham, «les deux piliers que sont la fidélisation du public et les budgets réduits» assureront le maintien des styles de productions «tourné chez soi» bien au-delà de la pandémie.
Les directives sanitaires imposées pour assurer la reprise des tournages viendront hausser les coûts de production, phénomène qui s’étendra également à la production de contenu de marques. Ces derniers cherchent à s’assurer que leurs messages et les plateformes sur lesquelles ils sont diffusés soient le plus attrayants, appropriés et authentiques possible. Or, le style de production «tourné chez soi», autant que l’intégration de la marque à même ce type de produit télévisuel, favorise une plus grande fidélisation de l’auditoire, particulièrement celui fort prisé des 18-49 ans, et ce, à moindre coût — ce qui permet d’accroître la rentabilité.