The BitTorrent Model

Dix ans d’expansion

L’année 2014 aura été marquée par la consolidation des grandes plateformes d’abonnement aux vidéos en ligne qui s’imposent aujourd’hui comme des options de rechange crédibles à la télévision câblée et à la distribution cinématographique traditionnelle. En effet, ces plateformes jouissent maintenant d’une reconnaissance officielle à la suite du couronnement, en janvier dernier, de la série Transparent produite par Amazon, ainsi que de celui de Kevin Spacey (prix « Meilleur acteur ») aux Golden Globes pour son rôle dans la série House of Cards de Netflix.

Créé en 2004, BitTorrent est connu pour avoir popularisé la technologie des torrents, un protocole qui permet d’échanger des contenus numériques par Internet. Plus récemment, la société a fait parler d’elle pour le record de piratage sans précédent de la série Game Of Thronesde HBO via sa plateforme de partage.

Aujourd’hui, BitTorrent est un géant qui compte plus de 170 millions d’utilisateurs. Ce chiffre imposant explique pourquoi la moitié de la bande passante utilisée aux États-Unis en 2014 a servi au transfert de fichiers BitTorrent.

Le chemin vers la légalisation

À la fin de 2014, le célèbre site de partage de fichiers BitTorrent a créé la surprise dans l’industrie en annonçant qu’il étendait son « bundle distribution service » pour permettre aux musiciens, réalisateurs, et autres créateurs d’offrir à leurs fans des « forfaits de contenus ». Ces forfaits sont accessibles au public sous la forme d’un portail payant.

C’est le début d’un chemin vers la légalisation, où BitTorrent s’efforce de faire oublier son image de complice des pirates. Depuis deux ans, la société californienne n’a pas épargné ses effortspour prouver qu’elle veut travailler avec les artistes, maisons de disques et sociétés de production. C’est un signe démontrant qu’elle veut se réinventer et se mesurer face aux services de distribution existants tout en continuant à défendre le libre accès à Internet.

Par cette stratégie, BitTorrent se joint donc aux autres nouveaux joueurs dans l’arène de la création et la diffusion de contenu en ligne, comme Netflix, Amazon, YouTube et Hulu. L’effet domino n’a pas épargné les autres plateformes de partage et de diffusion de vidéos en ligne, à l’instar de Vimeo qui s’est aussi fait remarquer en 2014 en se lançant dans la distribution de films avec Vimeo On Demand. Suite logique, Vimeo devient également créateur de contenus en finançant six épisodes de la websérie High Maintenance.

Le nouveau service de « forfaits »

BitTorrent reste d’abord et avant tout une plateforme facilitatrice pour la distribution de contenu, car sa vocation première est technologique. Fidèle à la philosophie de départ de l’entreprise, le nouveau modèle d’affaires de BitTorrent est ouvert à tout type de contenu et sa force réside en sa grande souplesse : il laisse les créateurs et éditeurs sélectionner les options de. De plus, le service offre une part de recettes de 90 % aux créateurs – ce qui constitue un argument commercial de taille.

Ainsi, en fournissant un service de distribution sur mesure, associé à la création de contenu original haut de gamme, et en mobilisant son réseau unique pair-à-pair (P2P), BitTorrent offre une troisième voie, différente de celle des joueurs traditionnels et des nouvelles plateformes de télévision par contournement. Ce système semble avantageux pour toutes les parties et crée l’espoir d’une relation durable avec les artistes et ayants droit, car les forfaits s’adressent directement à des adeptes fidèles et, donc, par nature actifs et mobilisés.

Cette offre n’est pas étrangère au succès récent de la mobilisation des fans sur Internet et du financement participatif; elle capitalise sur le manque de liens entre les campagnes de financement et la diffusion de produits culturels qui laisse parfois les projets non aboutis et sans accès aux services de diffusion appropriés. En proposant à la fois des forfaits d’accès gratuit et d’accès payant au contenu, BitTorrent institue un système similaire à la donation.

Thom Yorke, chanteur du groupe Radiohead, a fait la démonstration de l’efficacité de ce nouveau système, en lançant son album solo en 2014 sur BitTorrent. Vendu pour une somme de 6 $, cet album a récolté plus de 4,4 millions de téléchargements, et fait la preuve qu’il est possible de s’affranchir des intermédiaires traditionnels. Quelques mois plus tard, le réseau de pair-à-pair annonçait la diffusion d’une série en ligne dès l’automne 2015, Children of the Machine. Cette série de science-fiction de huit épisodes sera offerte en téléchargement gratuit, soutenu par des publicités, avec l’option de l’acheter pour 4,95 $ sans publicités. BitTorrent ne s’arrête pas là et propose à ses utilisateurs un long-métrage présenté en 2014 au festival de Sundance (HITS). Les gens peuvent l’acheter en ligne au prix de leur choix.

Enfin, en janvier 2015, BitTorrent a annoncé un partenariat avec FilmBuff, un distributeur indépendant de New York, et la sortie de séries documentaires, soit une collection de 16 films payants séparés en quatre forfaits. Ce n’est pas le premier partenariat que BitTorrent signe avec un indépendant… Drafthouse Films avait déjà distribué son documentaire The Act of Killing sur la plateforme en décembre 2013. Cette collaboration pourrait s’avérer mutuellement avantageuse à l’heure où les distributeurs de films cherchent désespérément de nouvelles fenêtres de diffusion.

BitTorrent n’a cessé d’enrichir son catalogue et peut aujourd’hui revendiquer deux millions de titres accessibles tout à fait légalement. Dès lors, tout laisse penser que l’entreprise multipliera les partenariats avec l’industrie pour élargir son activité de diffusion de films. À n’en pas douter, il s’agit d’une opportunité pour les studios hollywoodiens encore incapables d’enrayer efficacement le piratage ou de s’adresser efficacement à des publics de niche. En conjuguant programmation grand public et en restant ouvert à une variété d’œuvres, BitTorrent remportera-t-elle son pari de monétiser des contenus parfois délaissés par des plateformes comme Netflix, Amazon ou Hulu?


Samuel Bischoff
Ancien membre de l'équipe de veille stratégique du FMC, Samuel Bischoff s'intéresse en particulier aux enjeux actuels d'accès et de distribution du contenu.

Il a travaillé dans la distribution de films ainsi que dans la création de contenu de marque et de publicité en France et au Québec. Samuel est détenteur de deux Maitrises à l'Université de la Sorbonne à Paris : l'une en Droit et Administration de l'Audiovisuel et l'autre en Études Cinématographiques.
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