Un gars, une fille, la recette d’un succès international… depuis 20 ans
Les statistiques donnent le tournis. Au cours des 20 dernières années, l’émission Un gars, une fille a été adaptée dans 30 pays, trônant au sommet des formats les plus souvent adaptés à travers le monde. À ce jour, quelque 5 000 épisodes ont été distribués en grec, en italien, en turc, en suédois, en allemand, en arabe, en espagnol, en russe et plus encore, alors que la version québécoise, diffusée sur les ondes de Radio-Canada dès 1997, n’en compte que 130. Le créateur Guy A. Lepage et la directrice générale du Groupe Avanti, Monic Lamoureux, se sont réunis pour décortiquer cette aventure aussi imprévisible que fascinante.
Quand avez-vous réalisé que votre œuvre avait un potentiel international?
G: J’ai écrit une émission locale et je pensais qu’elle aurait de la difficulté à sortir du public de Montréal, parce qu’elle faisait trop Plateau ou trop bobo. À ma grande surprise, ce couple de 35 ans qui se demande s’il devrait avoir des enfants, être locataire ou propriétaire, partir à son compte ou travailler en entreprise, se marier ou non… il existait à Barcelone, Moscou et Stockholm et il se posait les mêmes questions. Un jour, alors qu’on avait diffusé seulement cinq épisodes, Arabelle Pouliot-Di Crescenzo nous a demandé si elle pouvait vendre notre format à l’international. On était convaincus que ça ne fonctionnerait jamais, mais elle est vite revenue avec sept ou huit lettres d’intérêt de pays différents.
Quels sont vos arguments de vente?
M: Nos coûts de production sont très bas. C’est simple à tourner, avec deux comédiens, une équipe de tournage réduite et trois lieux en location par épisode. On tourne en plans-séquences, ce qui était assez précurseur dans les années 1990. Et nos histoires sont relativement intemporelles. Ces jours-ci, l’Afrique francophone tourne nos textes écrits il y a 22 ans.
«Quand je supervise les débuts d’une nouvelle version sur place, je suis capable de dire si ça fonctionne ou pas, même sans comprendre la langue.»
Qui ont été les principaux intervenants du processus de vente à l’étranger?
G: Arabelle et Monic se sont chargées de toutes les ententes. Elles défendent le projet avec plus de pugnacité et de férocité que moi. Ce sont elles qui disent «Non, on ne laisse pas passer ça!» Dans chaque version, on doit reconnaître le graphisme, le montage, le plan séquence, le jeu et le rythme. Quand je supervise les débuts d’une nouvelle version sur place, je suis capable de dire si ça fonctionne ou pas, même sans comprendre la langue. Puisque je sais ce qu’un comédien doit dire, je peux voir s’il se trompe ou s’il surjoue.
Quelles sont les étapes de démarchage?
M: J’envoie les cinq premiers épisodes, avec la musique, pour donner le ton. Quand ils [les intéressés] signent une option, ils obtiennent la trousse de base qui leur permet de solliciter un diffuseur dans leur marché. Ensuite, on signe des droits de licence avec droit de regard et on se charge aussi des droits d’exploitation pour les produits dérivés. Par exemple, ils ne peuvent pas diffuser l’émission sur YouTube ou ailleurs comme ils le veulent. On contrôle tous ces éléments-là.
En quelles langues sont sous-titrés les épisodes de la trousse de base?
G: En anglais et en français. On a fait faire une version en français international pour qu’un adaptateur local comprenne bien l’histoire. Par exemple, quand on a écrit un gag sur Jean Charest, le traducteur a remplacé le nom par un blanc et il a écrit «Prendre un politicien controversé présentement dans votre pays au sujet d’un comportement douteux». Tu mets le nom et la joke fonctionne.
Pourquoi exigez-vous un droit de regard?
G: Notre toute première expérience étrangère était la version flamande, dans laquelle on ne s’est pas du tout impliqués. Quand on l’a vue, on n’a pas trouvé ça bon. Ce n’était pas drôle. Le gars et la fille se ressemblaient tellement qu’on aurait dit un frère et sa sœur. Quand ils s’embrassaient, on voulait changer de poste! On a capoté! Heureusement, presque personne n’en a parlé. À ce moment-là, on a compris qu’il fallait superviser sur place. Au début, j’y allais tout le temps. Arabelle venait avec moi. Maintenant, elle y va seule. On passe sept à dix jours sur place pour assister aux premières répétitions, aux trois jours de tournage, au montage et au mixage, jusqu’à ce qu’ils aient fait un épisode par eux-mêmes.
À quel point êtes-vous impliqués?
G: On fait confiance au producteur pour le choix du réalisateur et de l’équipe, mais on approuve le choix du couple. Et si on n’aime pas le résultat, on peut refuser que ça aille en ondes. On peut aussi ne pas renouveler une autre saison. Au début, j’intervenais tout le temps sur le plateau dès qu’il y avait un problème. Mais après ça, j’ai réalisé qu’ils attendaient que je trouve la solution. C’était une très mauvaise idée. Il faut laisser le comédien, le réalisateur ou le directeur photo aller au bout de ses idées. Ce sont des gens compétents qui doivent corriger leurs erreurs par eux-mêmes. Je ne peux pas embarquer sur leur dos pour «gosser» tout le monde.
«Au Québec, on a fait 130 épisodes, alors qu’en Turquie, ils en ont produit 435.»
Quelle proportion des textes originaux peut être transformée par les producteurs locaux?
M: Durant la première année, ils doivent utiliser 65% de nos textes. Évidemment, quand la version québécoise parlait de hockey, ils peuvent parler de football [NDLR: soccer]. Une blague que nous racontions dans la chambre à coucher peut être faite dans le salon. Et quand ils sont rendus à la fin de nos textes, ils ont le droit de créer. Au Québec, on a fait 130 épisodes, alors qu’en Turquie, ils en ont produit 435. En Grèce, ça cartonne tellement fort qu’ils ont choisi de retrouver les mêmes acteurs plus vieux. Les téléspectateurs les ont vus vieillir.
Pourquoi la version française, entrée en ondes en octobre 1999, a-t-elle ouvert la porte au succès mondial?
G: En Amérique du Nord, la télévision produit des émissions d’une durée de 30 ou 60 minutes entrecoupées de publicités. En France, les pubs sont concentrées chaque heure entre deux émissions. Pour Un gars, une fille, nous séparions l’émission en trois blocs: par exemple, le premier au lit, le deuxième à la pharmacie et le troisième chez belle-maman. En France, ils diffusaient un segment par jour avant les infos de 20 heures. C’était une idée géniale là-bas! Ça a donné le goût à plusieurs pays européens qui évoluent dans un contexte similaire de faire la même chose.
Combien coûte la licence d’Un gars, une fille?
M: Le coût diffère d’un pays à un autre, selon sa population et la popularité du diffuseur. Ça représente entre 8 et 10% du budget de production. On vise haut parce qu’on est top!
À quel point est-ce rentable pour un producteur étranger?
G: Un format en général, c’est économique, sauf si le projet coûte super cher à réaliser, puisque les 10% à payer deviennent encore plus chers. Cela dit, ça ne coûte pas cher de tourner Un gars, une fille. Ça prend une équipe de dix personnes, deux comédiens et trois locations très simples par épisode.
M: C’est super économique! Tout le monde le reconnaît. On vend une formule clés en main.
Seriez-vous capables de reproduire un nouveau succès semblable?
M: Les plus beaux formats vendus à l’étranger sont des surprises. Écrire pour l’international, ça ne se fait pas. Si tu essaies, tu vas diluer ton œuvre localement. D’ailleurs, quand on a commencé à vendre à l’international, Guy continuait d’écrire la version québécoise et il n’y a rien changé, même qu’il sentait l’intérêt des pays étrangers.
G: Plusieurs personnes m’ont proposé de développer des formats internationaux, mais ça ne se développe pas. Tu dois faire un projet qui fonctionne pour l’endroit où tu le présentes. Ensuite, les gens d’ailleurs vont dire si ça les rejoint. Si tu tiens à faire du volume partout dans le monde, fais des dessins animés, des téléréalités ou des émissions de jeu.
«Les plus beaux formats vendus à l’étranger sont des surprises. Écrire pour l’international, ça ne se fait pas.»
Quels conseils donneriez-vous à une équipe qui veut vendre un format?
G: Il faut absolument superviser ce que tu vends. C’est un peu comme un cheval: il faut que tu le tiennes très, très serré et que tu le mettes au pas. S’il écoute bien et qu’il a de l’imagination, tu peux lui donner du lousse. Les gens achètent ton expertise, tes essais et tes erreurs. C’est moi qui ai fait le plus de gaffes sur Un gars, une fille. Je ne vends pas mon émission et mes idées pour que les gens refassent les mêmes erreurs que moi. Leur première émission devrait être meilleure que ma première. Si ce n’est pas le cas, on a un problème.
M: L’erreur qu’on n’a pas faite, c’est de vendre au premier venu juste pour l’argent. Plus ça avance, plus c’est dur. On n’a plus droit à l’erreur. Dans le futur, on aimerait aller au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, dans les pays asiatiques et peut-être aux États-Unis. L’aventure n’est pas terminée!