Vous êtes dans la mauvaise branche: créer des jeux, c’est créer des communautés
Les développeurs de jeux ne peuvent plus survivre en ne pensant qu’à créer des jeux: ils doivent aussi se constituer une base de fans. Ils ont donc tout intérêt à envisager leur communauté de façon plus large et à reconnaître le rôle déterminant de celle-ci dans leur succès.
Si j’avais reçu un cinq sous chaque fois qu’un fondateur de studio de jeux m’a dit que tout ce qu’il voulait, au fond, c’était de passer son temps à créer des jeux, j’aurais récolté assez d’argent pour financer un de ses jeux! Sans hésiter, je lui réponds carrément qu’il est dans la mauvaise branche.
« Quoi? Tu veux dire que les développeurs de jeux ne sont pas des entreprises de production de jeux? » Exactement! J’encourage les développeurs de jeux commerciaux à envisager plutôt leurs activités comme de la création de communautés: ils doivent attirer une base d’amateurs qui sont fanatiques de leurs jeux et entretenir leur fascination. À la base, il faut évidemment créer des jeux géniaux pour gagner le cœur et l’esprit des amateurs; cependant, il est essentiel de redéfinir un peu l’entreprise pour mettre l’accent sur l’engagement des fans.
Vous savez, je suis tout à fait en faveur de la création de jeux comme mode d’expression personnel. Les jeux sont un puissant moyen de création… en tant que hobby ou projet secondaire qui vous passionne, ou si vous avez gagné le gros lot et avez le temps de dessiner des pixels à cœur joie. Cela dit, si vous ambitionnez de créer une entreprise florissante (ou au moins viable), vous ne pouvez PLUS vous consacrer seulement à la création de jeux. C’est aussi simple que ça.
Si vous n’avez d’autre souhait que d’inventer des jeux, faites-en votre passe-temps ou trouvez un emploi avec un titre bien défini comme sculpteur de sourcils en chef ou peaufineur d’images de niveau trois.
Le marketing, c’est plus que de la promotion
Vous êtes un développeur de jeux indépendant et souhaitez connaître un succès commercial? Alors vous devez aussi être un spécialiste du marketing. Hélas, de nombreux développeurs croient que le marketing se résume à la promotion, alors que celle-ci n’est qu’une de ses facettes. Comme je l’ai expliqué dans mon article précédent sur « le syndrome du champ de rêves », le marketing se compose généralement des quatre P: promotion, produit, prix et place.
Dès que vous mettez au point un nouveau jeu, vous devez aussi concevoir une stratégie de marketing. Le simple fait de décider quel genre de jeu produire (le produit) fait partie du processus de marketing. Discuter des niveaux de prix et des modèles de monétisation (le prix), c’est du marketing. Réfléchir aux plateformes et aux boutiques où faire la distribution (la place), c’est aussi du marketing. L’analyse effectuée par Ryan Clark (du fameux jeu Crypt of the NecroDancer), qui a réfléchi à ces éléments avant de planifier son prochain jeu, offre un excellent exemple d’un véritable raisonnement marketing en action.
Évidemment, la communication avec les médias, les plateformes de médias sociaux à privilégier et le choix des festivals où présenter le produit (la promotion) sont aussi des constituants du marketing.
Reconnaissez-le. Acceptez-le. Intégrez-le. Si vous créez des jeux, vous faites du marketing.
Les fans sont votre avenir
Remettez tout cela dans le contexte de l’économie de l’attention, et vous réaliserez que ce marketing (associé à la production de jeux géniaux) doit faire de la création d’une base d’amateurs une priorité commerciale. Plus celle-ci est vaste et engagée, plus grandes seront vos chances de succès. Accroître votre base d’amateurs contribue à accroître votre marché.
Quand on parle aux gens des studios de jeux indépendants qui connaissent le plus de succès (comme Yacht Club, Klei, Supergiant, Rockfish et Kitfox), on voit qu’ils font sans cesse référence à leurs démarches pour établir une base d’amateurs et développer les communautés entourant leurs jeux. (Un exemple concret: l’empressement des amateurs a permis à Kitfox d’atteindre les objectifs de financement sur Kickstarter de son jeu Boyfriend Dungeon en à peine plus de six heures.) Et les exemples ne manquent pas. On a peut-être affaire ici au biais du survivant, mais je n’ai toujours pas trouvé un studio qui a échoué malgré l’existence d’une communauté dynamique et d’une base d’amateurs engagés.
Cette façon de faire nécessite de fixer des priorités et d’avoir une vision. On aura du mal à rallier les amateurs si on change sans cesse de genre ou de plateforme (comme produire un jeu de course en RV une année et un jeu de combat pour console l’année suivante). Il importe donc de suivre une feuille de route et de voir à ce que chaque jeu vienne créer un élan, tant sur le plan de la vitesse de conception que de la réputation et de la base d’amateurs.
Le studio Fellow Traveller, qui a récemment fait l’annonce qu’il sert un public amateur de jeux axés sur le contenu narratif « inusité », offre un rare exemple d’une volonté déclarée de cibler un groupe de fans particulier. Il sera intéressant de voir comment ce moment de redéfinition influera sur le succès de ses jeux. Cela dit, il est essentiel de noter que faire connaître le produit n’équivaut pas à capter l’attention des amateurs. Avec des fans, il faut bâtir une relation et, pour y arriver, une somme de travail et des efforts délibérés sont nécessaires. Chris Zukowski a réussi avec brio à présenter certains de ces concepts dans son article sur les entonnoirs de ventes et sur le fait d’inciter les joueurs qui connaissent l’existence du produit à s’y intéresser et, au final, à devenir des fans.
En outre, la façon de concevoir le produit a une incidence directe sur la capacité à créer une communauté autour du jeu. Dans le cas des expériences solos linéaires, par exemple, on dispose de moins d’accroches pour stimuler l’engagement de la communauté. À l’inverse, les expériences multijoueurs/sociales ou non linéaires/variables incitent les joueurs à entrer en contact les uns avec les autres pour partager leurs stratégies et leurs expériences.
Le thème de la découvrabilité et des accroches favorisant l’engagement de la communauté représente toutefois un sujet très vaste qui mérite un article à lui seul…
Pour conclure, reprenez vos esprits chaque fois que la culpabilité vous ronge en mettant de côté le jeu pour vous occuper de « distractions », comme envoyer une infolettre ou vous demander comment rendre le jeu plus captivant pour les utilisateurs en continu.
Comme Saralyn Smith, directrice responsable de la communauté mondiale de Blizzard, l’a si bien dit dans son discours à Devcom: « Explorez l’horizon infini de la ‟fanitude”. À Blizzard, nous sommes d’avis que la production de jeux va de pair avec la création de communautés – et les communautés rendent le monde meilleur. »
Alors, allez-y, travaillez à rendre le monde meilleur! Après tout, vous êtes dans le domaine de la construction de fans.