M’entends-tu ?
Rivalités entre familles fortunées, villas spacieuses et modernes, récits de prestige et de vedettariat... la télévision actuelle regorge d’émissions où l’abondance et l’argent sont omniprésents. Mais loin de ces décors luxueux, il arrive que quelques séries se démarquent en présentant des personnages qui, à défaut de ressources financières, ne peuvent s’appuyer que sur leur solidarité et leur force intérieure pour traverser les épreuves. Le résultat : une fiction drôlement près de la réalité ; d’une richesse et d’une puissance insoupçonnées. Conversation avec la productrice Julia Langlois, sur ces histoires qui méritent d’être entendues.
Sur le plateau – Photo: Sébastien Raymond et Laurence Grandbois-Bernard
Premières fois
Tout a commencé lorsque la comédienne et autrice Florence Longpré est allée rencontrer l’équipe de Trio Orange afin de leur présenter le texte du premier épisode d’une série. Un concept percutant, qu’elle avait non seulement créé, mais dont elle était le personnage principal. Lorsque Julia Langlois parle de ce moment, son enthousiasme est évident : « On a lu l’épisode et ça a été immédiatement un coup de cœur terrible ! On était ailleurs. On présentait un milieu qu’on voit rarement à l’écran. C’était aussi une forme d’écriture jeune et rafraîchissante. On a tellement aimé qu’on s’est dit qu’on le ferait, même si on n’avait jamais fait de fiction. » En effet, malgré plusieurs excellents projets de documentaires et de magazines dans son portfolio, M’entends-tu ? était non seulement le premier projet du genre pour Trio Orange, mais aussi pour la jeune créatrice Florence Longpré. Advienne que pourra ! L’autrice et l’équipe de production ont relevé le défi avec la passion et l’énergie du débutant. Pendant presque un an, ils ont donc travaillé ensemble à développer la série avant d’aller la proposer à Télé-Québec.
La productrice souligne d’ailleurs que le choix du diffuseur ne s’est pas fait au hasard : « Télé-Québec tient à cœur de donner des opportunités à la relève, c’est pourquoi ils ont fait confiance à Florence. Ils nous ont laissé une très grande liberté de création. Ça n’a pas de prix. »
La comédienne Eve Landry et la réalisatrice Miryam Bouchard – Photo: Sébastien Raymond et Laurence Grandbois-Bernard
Une vraie diversité
Dans les médias en général, on remarque de plus en plus l’effort que font les producteurs afin de présenter des projets plus inclusifs. Mais loin de chercher à cocher des éléments sur une liste, la pluralité s’est imposée d’elle-même dans la série M’entends-tu ?, comme le mentionne Julia Langlois : « Il y a plusieurs sortes de diversités dans la série : sexuelle, ethnique, corporelle, et artistique. Ça s’est fait de façon toute naturelle. Tout d’abord, on a beaucoup de femmes qui occupent les différents postes dans l’équipe de production, comme la monteuse, la costumière, etc. Mais ce n’était pas intentionnel. On a choisi les meilleures personnes pour le projet et ç’a donné beaucoup de filles. Même chose pour la distribution qui est très multiculturelle. Nous avons des personnages blancs, noirs, asiatiques, arabes, mais la nationalité de chacun n’est pas un enjeu dans la série. C’est coloré, simplement parce que la pauvreté n’a pas de couleur de peau. On voit des gens de toutes les origines, mais aussi de tous les gabarits, de tous les genres. Ensuite, on a aussi une diversité dans nos artistes puisque nos acteurs n’ont pas tous une grande notoriété. On est allé chercher des comédiens pour leur talent, peu importe qu’ils soient connus ou non. » Ainsi, la série apparait comme un amalgame captivant où tout le monde mérite sa place pour ce qu’il est, plutôt que pour ce qu’il représente.
Le plus intéressant reste que même si la pauvreté semble être le sujet principal l’émission, ce n’est, en réalité, qu’une toile de fond devant laquelle l’histoire se développe. « Ça reste l’histoire de trois amies qui essaient de survivre à leur quotidien. Ce n’est pas l’histoire de filles qui s’apitoient sur leur sort ou qui essaient de sortir de leur milieu parce qu’elles sont pauvres. Ce sont juste des gens qui vivent dans ce contexte-là et on est témoin de ça, » rappelle la productrice.
La comédienne Mélissa Bédard sur le plateau – Photo: Sébastien Raymond et Laurence Grandbois-Bernard
La productrice Julia Langlois – Photo: Chantale Lecours
Unique en son genre
En visionnant les différents épisodes, on peut facilement passer du rire aux larmes, de l’angoisse à l’espoir. Difficile à classer dans un créneau bien défini. « C’est complexe, et ç’a été un défi d’identifier la bonne catégorie où placer M’entends-tu ? lorsqu’on voulait l’inscrire à différents prix. Ce n’est pas du documentaire ; ça reste de la fiction, mais on est dans une authenticité palpable. Les personnages s’expriment, sont bons et mauvais à la fois, comme dans la vraie vie. Ce n’est pas romancé. C’est sans discrimination, sans moquerie, sans jugement. On est dans ce que les Américains appellent une dramedy. Ce n’est pas tout à fait une comédie dramatique, c’est plutôt un drame comique. Tout n’est pas complètement drame, ni totalement comédie. Il est possible qu’on soit juste entre les deux, comme dans la vraie vie », explique la productrice. La série de l’actrice et autrice Florence Longpré offre donc une proposition différente de ce qui est souvent présenté à la télévision d’ici. Une façon de contribuer à bâtir une culture télévisuelle forte en présentant des aspects qui sont peu présents sur nos écrans.
Tournage en extérieur – Photo: Sébastien Raymond et Laurence Grandbois-Bernard
Susciter des réactions
L’audace a un prix. L’aspect unique et souvent choquant de la série a initialement rebuté plusieurs téléspectateurs, comme le raconte Julia Langlois : « Regarder des thématiques d’abus et de pauvreté en face, ça peut être dérangeant. Ça vient nous chercher aux tripes ; c’est polarisant et confrontant. On a déjà reçu certains commentaires du public disant qu’ils n’aimaient vraiment pas ça à la première écoute. Puis, le temps et le bouche-à-oreille ont fait leur effet. De détracteurs, plusieurs sont devenus des admirateurs invétérés et engagés, malgré qu’ils aient été ébranlés par la série, au début. Le public s’est attaché à ces trois filles et à leur réalité. Preuve que ce genre de série a sa place en onde. Ça, c’est notre plus belle paye. »
Ce succès s’est manifesté au-delà des réactions du public avec, entre autres, 14 nominations au 34e Gala des Prix Gémeaux (incluant un prix pour les meilleurs textes), le prix de la meilleure série dramatique de langue non anglaise aux Rockie Awards à Banff et le prix de Meilleure comédie au festival Séries Mania en France. Déjà, le pari est gagné.
L’autrice et comédienne Florence Longpré et le comédien Christian Bégin – Photo: Sébastien Raymond et Laurence Grandbois-Bernard
M’entends-tu ? est de ces petites idées folles, devenues grandes réalisations. Une série déconcertante, puissante, dont la concrétisation démontre que l’audace et l’authenticité sont sans doute les plus grandes richesses.
La 2e saison de M’entends-tu ? est diffusée les lundis à 22 h sur Télé-Québec et en tout temps sur telequebec.tv. La série est aussi offerte sur Netflix. Vous pouvez aussi la suivre sur Facebook et Instagram.