Sexplora
Les réunions de développement sont toujours très animées chez Urbania Média. C’est qu’il faut démêler, parmi les mille et une possibilités, quelle sera la prochaine idée sur laquelle l’équipe devra mettre ses efforts. Ce jour-là, Philippe Lamarre, producteur exécutif et fondateur d’Urbania, a présenté un plan bien précis à ses collègues : « On va développer une émission sur le sexe pour la chaine Explora! »
C’était assez inusité, comme proposition. Il faut dire que la chaine ICI Explora, appartenant à la Société Radio-Canada, offre un service spécialisé de télévision consacré principalement à la science et à la connaissance. Comment aborder un sujet aussi « animal » dans un contexte aussi « cérébral »? Comment cette émission a-t-elle pu voir le jour? Et vu la sensibilité du thème de la sexualité, et ce que ça peut susciter chez certains téléspectateurs, comment éviter les dérapages? Dans un univers où une minorité de concepts développés aboutissent à un projet final diffusé, cette idée farfelue aurait facilement pu ne jamais se concrétiser. Mais justement, les idées hors-normes, c’est exactement ce à quoi carbure l’équipe d’Urbania. Recette d’un succès qui a surpassé les attentes.
Lili Boisvert en entrevue
Une formule gagnante
Nous voilà quelques années plus tard, et nous en sommes déjà à la fin de la deuxième saison de Sexplora, un magazine télévisuel et web qui parle de sexualité sans détour. Ce projet est rapidement devenu une des émissions vedettes de la chaine ICI Explora. Pour la productrice Annie Bourdeau, tout est dans la façon de présenter l’information : « On traite d’un sujet sérieux, mais avec un ton irrévérencieux. Ça signifie que pour nous, c’est primordial d’avoir de la rigueur et de la pertinence dans le propos, tout en gardant une touche d’humour! Par exemple, on peut expliquer une notion complexe avec un dessin animé tout simple, avec des couleurs vives, pour rendre l’information plus accessible et plus sympathique. » Marylène Fortier, productrice au contenu, est d’accord : « L’émission parle de sexualité dans le prisme de la science. Quand on applique la signature d’Urbania, avec son ton jeune, audacieux et curieux, ça fonctionne parfaitement. Dès le début, les cotes d’écoute ont été très intéressantes pour le diffuseur. Visiblement, c’était une bonne formule. » En effet, le public a été au rendez-vous. À un point tel que, après la première saison de 6 épisodes, la chaine a poursuivi l’aventure avec une deuxième saison de 10 épisodes. « C’est bon signe puisque, dans les chaines spécialisées, ça n’est vraiment pas automatique qu’on revienne pour une deuxième saison », souligne Marylène Fortier.
Les productrices Annie Bourdeau et Marylène Fortier
Viser juste
Avant d’appliquer la forme ludique pour présenter un contenu scientifique, il fallait commencer par choisir ce fameux contenu, comme l’explique Annie Bourdeau : « Pendant la période de développement, lorsqu’il a fallu choisir les thèmes, on avait fait une prérecherche de 350 pages! On s’est rendu compte que parler de sexualité, c’est très large! Il a donc fallu circonscrire les thématiques. » Marylène Fortier insiste, elle aussi, sur le fait que réussir à cerner la ligne directrice pour chaque épisode était le principal défi de l’émission : « Chaque épisode est conçu comme une quête où on veut répondre à une question initiale, sur un sujet précis. Il faut donc réfléchir et échanger pour cerner le propos de chaque épisode sinon, ça peut aller dans toutes les directions! Cette année, les sujets vont de la domination, jusqu’à l’abstinence en passant par la ménopause-andropause et la pornographie. Et on aurait du contenu pour faire encore plusieurs saisons! »
Alors qu’il fallait trouver la justesse du ton et préciser les thématiques, il a aussi fallu choisir la bonne personne pour porter cette émission, rappelle la productrice : « Initialement, on avait un casting d’humoristes pour animer Sexplora, mais on voyait qu’on tombait beaucoup dans l’autodérision et le but n’était pas de rire du sexe. On voulait garder une certaine rigueur. On a donc pensé à des sexologues, mais, puisqu’ils font partie d’un ordre professionnel, certains se censuraient énormément. Finalement, on a pensé à des journalistes, comme Lili Boisvert. Elle avait déjà eu un blogue sur la sexualité, donc elle avait développé ce créneau auparavant et réfléchi sur toutes sortes d’enjeux qui sont traités dans la série. Elle avait le ton léger et sérieux à la fois qu’on recherchait. Le diffuseur l’a rapidement choisie! » Le réalisateur de l’émission reflète, lui aussi, ce soucis de rigueur essentiel au succès du projet : « Arnaud Bouquet est très exigeant avec lui-même, tant au niveau du contenu que de la production. Cette qualité se perçoit dans le résultat final » ajoute Annie Bourdeau.
Lili Boisvert va à la rencontre du public
Une fois que tous les ingrédients étaient rassemblés, il fallait les présenter à travers le bon média. Pour Marylène Fortier, le web n’est pas séparé de la télévision; il fait plutôt partie de l’équation : « On a développé des thématiques, exploré tout ce qui était intéressant en matière de contenu, d’experts, de témoignages… puis, on s’est dit : quelle plateforme sert le mieux chaque contenu? Télévision, capsules web, texte, jeu interactif? Tout a été pensé en même temps. Pour nous, le web, ça n’est pas une deuxième plateforme, ça fait partie d’un écosystème qui se tient. » Et ça fonctionne!
Sexplora en tournage
Le respect de la différence
Lorsqu’on échange avec les productrices, on remarque rapidement leur grande fierté face à l’approche anticonformiste d’Urbania : « De façon générale, on fait souvent des portraits de personnages hors-normes. Ça fait partie de nos valeurs, de ce que nous sommes » lance Marylène Fortier. « On retrouve ça dans Sexplora et c’est toujours fait avec un immense respect. On pourrait facilement tomber dans le freak show, mais on s’intéresse réellement aux gens, aux personnages colorés et à leur univers. On a fait des rencontres fascinantes. » Pour l’émission, il fallait en effet trouver les personnes qui vivent des sexualités différentes, et qui étaient prêtes à en témoigner à la caméra. « Par exemple, nous avons rencontré une femme transsexuelle, née homme, qui est un ancien soldat de l’armée canadienne, et qui se prête au jeu de la chasteté. Son parcours de vie est exceptionnel. C’était un tournage marquant. Ça prend une équipe très respectueuse, qui a une grande sensibilité, de l’écoute et de la compassion. »
L’ouverture d’esprit. Au bout du compte, par-delà les thèmes-choc comme le fétichisme ou les ITS, c’est peut-être ça, au fond, le véritable lègue d’une émission comme Sexplora : « On a l’impression de contribuer à un dialogue social, à un avancement de la réflexion. Notre travail n’est qu’une petite goutte d’eau dans l’océan, mais on espère pouvoir aider à faire évoluer les mentalités concernant des questions taboues. » Comme quoi parler de jambes en l’air sans perdre la tête, c’est possible.
L’émission Sexplora est diffusée sur les ondes d’ICI Explora. Voyez ou revoyez les épisodes sur ICI Tou.tv (abonnement), et suivez l’émission via Facebook et Instagram.