Perspectives - QUAND L’ÉCRAN PIVOTE (Automne 2023)

Chapitre 1 : État des lieux

DÉFINIR LES CONTOURS DE LA CRÉATION NUMÉRIQUE POUR MIEUX EN COMPRENDRE L’IMPACT
PAR LEORA KORNFELD

Avec 18 millions d’abonné·es et près d’un milliard de mentions « J’aime», Leenda Dong n’est rien de moins qu’un phénomène sur TikTok. Il y a 10 ans, inspirée par le succès de créateur·trices numériques asiatiques comme Ryan Higa, Kevin Wu (alias Kev Jumba) et Michelle Phan, elle commençait à créer des vidéos pour sa chaîne YouTube. « Je commençais à voir tous ces visages asiatiques et je me disais : “c’est tellement cool, je veux faire ça aussi”, se souvient-elle. Ils ont indéniablement été des pionniers pour beaucoup de personnes asiatiques qui créent du contenu aujourd’hui. » 1 Grâce à son immense présence en ligne, Leenda Dong a conclu des partenariats et des ententes avec des marques allant de Pantene à Netflix, de Spotify à MAC Cosmetics 2.

Pour sa part, Ricky Berwick est un créateur numérique né avec le syndrome de Beals-Hecht, une maladie du tissu conjonctif qui limite ses mouvements. Peu après le début de YouTube, il s’est mis à publier de courtes vidéos humoristiques réalisées chez lui, à Kitchener, en Ontario. Il compte maintenant cinq millions d’abonnements sur cette plateforme, et plus de 2,2 milliards de visionnements. Sur TikTok, où il se décrit comme « votre créateur pas-tout-à- fait-normal de vidéos divertissantes», il possède 14 millions d’abonné·es et plus de 260 millions de « J’aime». Il a signé des ententes de commandite avec Reese’s et McDonald’s 3.

Leenda Dong et Rick Berwick se situent dans les échelons les plus élevés de la création numérique mondiale. Et pourtant, il y a de bonnes chances que vous n’en ayez jamais entendu parler. Leenda et Rick font partie des 10 000 à 20 000 4 Canadien·nes qui vivent de leur création numérique. Par l’entremise de plateformes de contenu généré par les utilisateur·trices (CGU), dont l’auditoire se compte en centaines de millions, voire en milliards 5 partout dans le monde, ces gens ont le pouvoir de joindre des publics directement et, de ce fait même, de se bâtir une carrière selon leurs propres critères. Vos ami·es, collègues et fort probablement vos enfants font référence à ces créateur·trices numériques dont vous n’avez sûrement jamais entendu parler. Comme l’écrivait récemment un journaliste du quotidien britannique The Guardian, ces créateur·trices sont « immensément célèbres pour les gens qui s’y intéressent, largement inconnu·es pour les autres » 6.

Bien que le moment semble venu pour les créateur·trices numériques de s’intégrer à la culture populaire, le paysage actuel résulte en réalité d’un travail au long cours de la part de milliers d’entreprises technologiques, de millions de créateur·trices et de milliards de spectateur·trices et de visionnements. L’économie du contenu numérique est un écosystème caractérisé par l’audace, l’innovation et des publics actifs, et son heure de gloire est arrivée.

La démocratisation de la création de contenu numérique s’explique en grande partie par ce que sont nos téléphones mobiles : des machines sophistiquées tant pour la création que la consommation médiatique, bien plus que de simples téléphones. En 2023, on estime qu’environ sept milliards de téléphones cellulaires sont utilisés partout dans le monde; le taux de pénétration des téléphones intelligents au Canada a maintenant dépassé les 91 % 7 8. L’écosystème de la création numérique profite non seulement des fonctionnalités de pointe de nos appareils mobiles du quotidien, mais aussi de l’absence de décideur·euses et d’intermédiaires, comme les sociétés de diffusion, les journaux et magazines, et les maisons de disque, ces interfaces traditionnelles entre les créateur·trices et leurs publics.

S’IL EST FACILE DE CRÉER, IL EST PLUS DIFFICILE DE SE FAIRE REMARQUER

Lorsqu’on ne dépend plus d’une organisation médiatique pour produire du contenu, certains obstacles disparaissent, mais d’autres surgissent. La production hiérarchisée et à fort investissement est certes écartée, mais il faut désormais tenter de faire découvrir ses créations au milieu d’une abondance de contenus écrasante.

Au sein de l’industrie, les médias numériques participatifs — pour lesquels seuls un téléphone et une connexion Internet sont requis — ont provoqué un certain nombre de changements importants :

  • Peu de barrières à l’entrée pour les créateurs·trices
  • Un accès à des publics mondiaux
  • Du contenu sur demande 24 heures sur 24
  • Pas d’« heures de grande écoute »
  • Une distribution sans frais sur les plateformes de CGU
  • Une distribution élargie grâce aux partages et republications

Mais d’autres défis se présentent. On peut citer les règles, normes et algorithmes en constante évolution sur les plateformes de CGU. En outre, bien que les plateformes soient accessibles à tout le monde, elles exercent un pouvoir important et peuvent être considérées, à ce titre, comme un nouveau type de décideur·euses.

Qu’à cela ne tienne, le secteur médiatique s’éloigne d’un environnement caractérisé par la rareté pour se rapprocher de l’abondance, ou plus exactement de la surabondance. On ne peut nier que le volume de contenu numérique et la vitesse à laquelle il est produit et consommé sont si grands que toute comparaison à l’écosystème traditionnel de radiodiffusion (y compris la diffusion continue en ligne) semble insignifiante.

Pour illustrer la différence entre les deux écosystèmes et la difficulté de les comparer, le tableau ci-dessous offre un aperçu de la production et de la consommation de médias dans les deux secteurs en 2022.

Nombre de séries scénarisées produites par année, marché américain Nombre de séries non scénarisées produites par année, marché américain Durée des contenus téléversés sur YouTube par jour Durée de visionnement sur YouTube par jour Nombre de vidéos TikTok regardées par minute Heures de diffusions Twitch regardées
par jour
599 9 2 000 10 740 000 heures 11 Un milliard d’heures 12 167 millions 13 57 millions 14

La possibilité de fabriquer et de partager du contenu en ligne n’est pas nouvelle; elle existe sous diverses formes depuis le début des années 2000. Alors pourquoi toute cette effervescence récemment autour de l’économie de la création numérique? Une partie de la réponse réside dans le fait que nous avons récemment atteint un point de bascule entre les médias traditionnels et numériques. Comme l’illustrent les chiffres ci-dessous, lorsque l’auditoire peut faire ses choix en cliquant et en balayant l’écran, les options retenues s’éloignent des offres des diffuseurs et des plateformes de diffusion continue en ligne (streamers).

Voici les chiffres en détail :

  • Plus de la moitié du contenu médiatique consommé par semaine par le public de 13 à 25 ans est fait par des créateurs numériques
  • Chez les 25-34 ans, le contenu fait par des créateur·trices numériques représente 46 % de la consommation médiatique hebdomadaire
  • Chez les 35-44 ans, le contenu fait par des créateur·trices numériques représente 37 % de la consommation médiatique hebdomadaire
  • Chez les 45-54 ans, le contenu fait par des créateur·trices numériques représente 30 % de la consommation médiatique hebdomadaire
  • Chez les 55-64 ans, le contenu fait par des créateur·trices numériques représente 22 % de la consommation médiatique hebdomadaire

LES 13-34 ANS PASSENT LA MOITIÉ DE LEUR TEMPS HEBDOMADAIRE DE VISIONNEMENT DE CONTENU SUR LES PLATEFORMES DE CGU, LES ADOLESCENT·ES DONNANT LE TON

RÉPARTITION DES HEURES CONSACRÉES AUX MÉDIAS PAR SEMAINE

 

SOURCE: https://www.cta.tech/Resources/i3-Magazine/i3-Issues/2022/May-June/Tech-Enabling-User-Generated-Content-to-Flourish

Même Netflix, qui a dépensé quelque 17 milliards de dollars américains en contenu cette année 15, peine désormais à ne pas se laisser distancer par les plateformes de CGU. Une étude menée à l’automne 2023 a découvert que, pour la première fois, les adolescent·es aux États-Unis ont rapporté consacrer plus de temps de visionnement par jour sur YouTube que sur Netflix 16.

CE QUE VOUS VOULEZ, QUAND VOUS VOULEZ

Courtes vidéos sur TikTok, Reels et Stories sur Instagram, variété de formats sur YouTube : la consommation de contenu peut désormais être contrôlée et personnalisée par chaque personne. Le public peut désormais regarder ce qu’il veut, quand il le veut, et les plateformes de CGU captent une part significative des auditoires canadiens. Au début de 2023, TikTok a déclaré avoir atteint 10,75 millions d’utilisateur·trices canadien·nes, Instagram 15,9 millions et, loin devant, YouTube 33,1 millions, soit environ 85 % de la population du pays au moment de la publication de ces informations 17. Plus encore, environ la moitié des utilisateur·trices canadien·nes de YouTube regardaient la plateforme sur un téléviseur, ce qui correspond aux habitudes de consommation de YouTube dans d’autres parties du monde 18 19.

Ce glissement de la consommation de contenu du linéaire vers la diffusion continue en ligne est également confirmé par des données de la firme Nielsen. Le rapport The Gauge pour l’été 2023 démontre que le plus important segment de visionnement total est désormais la diffusion continue en ligne, avec 38,7 %. Or, au sein de ce segment, YouTube est la plateforme de diffusion la plus importante, raflant environ 24 % de l’ensemble de la diffusion en ligne. La télévision par câble suit de près la diffusion continue en ligne avec un peu moins de 30 % du visionnement total, et 20 % vont à la diffusion linéaire. Pour replacer ces chiffres dans leur contexte, notons qu’au cours des deux dernières années, la part combinée de la télédiffusion linéaire et du câble a chuté de 12 % 20.

RAPPORT “THE GAUGE” DE NIELSEN: APERÇU DE LA CONSOMMATION TOTALE DE TÉLÉVISION ET DE STREAMING

JUILLET 2023, 2 ANS +

Chapter1 Neilsen Chart FR

SOURCE: https://www.nielsen.com/insights/2023/streaming-grabs-a-record-38-7-of-total-tv-usage- in-july-with-acquired-titles-outpacing-new-originals

Les données sont sans équivoque : l’auditoire se détourne de la télévision linéaire et du câble au profit de la diffusion continue en ligne. Cela dit, une grande partie du contenu diffusé en ligne n’est pas différent de celui de la télé traditionnelle ; en effet, on trouve sur Netflix, Crave et Roku Channel le même type de productions « professionnelles ». La principale différence est leur disponibilité à la demande et le fait que des algorithmes personnalisent les recommandations en fonction de vos habitudes de visionnement. En revanche, la plupart du contenu fait par des créateur·trices numériques a peu à voir avec les programmes diffusés sur les chaînes de télévision, le câble ou les plateformes de diffusion continue en ligne. Le contenu peut durer quelques secondes, comme une vidéo TikTok, ou des heures, comme un flux Twitch en direct.

De nombreux genres produits par les créateur·trices numériques sont également nouveaux, qu’il s’agisse de vidéos de réaction, de commentaires sur des jeux vidéo ou de magasinage. Mais on y retrouve aussi des formats répandus dans d’autres médias, tels que des entrevues, des mini documentaires et des critiques de produits.

Le tableau ci-dessous donne un aperçu par genre des créateur·trices numériques canadien·nes sur une plateforme, YouTube, et leur poids dans le Top 100 des chaînes YouTube au Canada 21. En tête de liste des nouveaux genres mentionnés plus haut, on retrouve des croisements entre des catégories telles que l’animation et l’éducation, la science et l’éducation, et les émissions de divertissement et pour enfants.

Divertissement Musique Jeu vidéo Éducation Humour Science et technologie Cinéma et animation Sport Actualités et politique Célébrités et blogues Automobile Tutoriels et style Non classé/ Autre
Nombre de chaînes dans le Top 100 au Canada 22 20 15 12 7 6 4 2 2 2 1 1 8
Exemples de chaînes canadiennes dans le Top 100 de YouTube Luke Davidson
(9,5 milliards de visionnements)Heidi and Zidane
(4,2 milliards de visionnements)
Crash Adams
(1,8 milliard de visionnements)Bryan Adams
(4 milliards de visionnements)
VannossGaming
(15,7 milliards de visionnements)Azzyland
(6,5 milliards de visionnements)
SuperSimpleSongs
(46 milliards de visionnements)NotWhatYouThink
(2,6 milliards de visionnements)
Manchurek Triplets
(9,2 milliards de visionnements)JeenieWeenie
(6,6 milliards de visionnements)
Hacksmith Industries
(2 milliards de visionnements)AsapSCIENCE
(1,9 milliard de visionnements)
Nutshell Animation
(+ de 3,2 milliards de visionnements)
Sportsnet
(1,5 milliard de visionnements)TheSportsEntertainer
(+ de 100 millions visionnements)
Global News
(+ de 2,2 milliards de visionnements)CBC News
(1,8 milliard de visionnements)
FamousTubeFamily
(4,3 milliards de visionnements)Matt Chesco
(1,6 milliard de visionnements)
RC Sparks Studio
(1,9 milliard de visionnements)
Simply Nailological
(1,8 milliard de visionnements)
GoldenGully
(3,3 milliards de visionnements)The Dusty Lumber Co.
(1,9 milliard de visionnements)

Notons également qu’une catégorie telle que Musique englobe des chaînes d’entrevues musicales, mais aussi des artistes importants comme Drake et Nickelback. Dans d’autres catégories, on retrouve des diffuseurs traditionnels qui publient leur contenu sur YouTube, à l’instar de Global News et CBC News dans la catégorie Actualités et politique ou SportsNet dans la catégorie Sport. Ces exemples illustrent certains des contours ambigus de l’écosystème de la création numérique, un sujet que nous explorerons plus en détail dans la section ci- dessous, qui tente d’offrir une estimation de la taille et de la valeur de l’économie canadienne des créateur·trices numériques.

Il y a de fortes chances que plusieurs de ces noms soient nouveaux pour le lectorat, ce qui démontre bien le caractère « parallèle » de la sphère des créateur·trices numériques. Bien que parallèle, cet univers est influent : certaines chaînes ont le potentiel de générer des milliards de visionnements. D’autres, comme Super Simple Songs, peuvent cumuler ce milliard de visionnements en à peine un mois.

Chaque jour, des millions d’heures de contenu sont publiées sur des plateformes très fréquentées telles que YouTube, Instagram, TikTok et Twitch. Pourtant, ces artistes canadien·nes du contenu numérique, ainsi que de 10 000 à 20 000 autres 22, retirent l’équivalent salarial d’un emploi à temps plein à faire ce qui les passionne, un visionnement à la fois, réitérant ce pari chaque jour, et en étant en concurrence direct avec des milliards d’heures de contenu.

UNE ÉCONOMIE DIFFICILE À ÉVALUER

Combien de créateur·trices numériques y a-t-il, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde ? Et quelles sont les retombées économiques de cette industrie émergente ? La réponse dépend d’un certain nombre de facteurs, notamment des définitions utilisées. Parle-t-on de la durée moyenne consacrée à la création de contenu ? Des sommes gagnées ? De la possibilité pour un·e créateur·trice de quitter son emploi ? Ou d’autre chose ?

Le chiffre de 50 millions de créateur·trices dans le monde 23 est souvent cité. D’autres rapports, plus généreux, mentionnent 100 ou même 200 millions 24. En plus de cet écart considérable, des études indiquent qu’un nombre important de créateur·trices numériques se considèrent comme étant à temps plein, malgré des revenus inférieurs au salaire médian 25. Néanmoins, quel que soit le nombre total de participant·es à cette économie, les analystes estiment qu’environ 4 % peuvent être considéré·es comme des professionnel·les à temps plein et que cette proportion est susceptible de demeurer stable au fil du temps, et ce, alors même que le nombre de créateur·trices augmente 26.

Comment, dès lors, peut-on penser à l’économie des créateur·trices en tant que moteur économique qui contribue au produit intérieur brut (PIB) du Canada ? Ces questions n’ont pas été étudiées aussi profondément qu’elles pourraient l’être. Une véritable évaluation des retombées économiques nécessiterait un travail quantitatif et qualitatif important car il n’existe pas d’étude spécifique et méthodologiquement solide de ce type pour l’économie des créateur·trices au Canada. Comme l’ont noté Stuart Cunningham et David Craig, les principaux chercheurs qui étudient l’économie de la création : « il est pratiquement impossible, à ce stade de l’évolution du secteur, d’obtenir des données indépendantes et fiables sur l’ampleur et la valeur économique que les plateformes et les créateurs tirent du divertissement sur les médias sociaux. Les tentatives de suivi de la valeur économique sur de multiples plateformes et sources de financement associées sont légion, mais presque toujours invérifiables, et elles proviennent généralement d’intérêts publicitaires et de marketing directs » 27.

Compte tenu de ces limites, plusieurs études sur l’économie des créateur·trices aux États-Unis et dans le monde ont été analysées. Notez que les calculs présentés ici découlent d’un examen approfondi de ces travaux et non d’une méthodologie, et qu’une fourchette de chiffres sera fournie. La question de l’impact économique et de la contribution au PIB des créateur·trices numériques canadien·nes est abordée sous plusieurs angles et les méthodes employées sont détaillées dans l’annexe, à la fin de ce chapitre.

Au Canada, l’estimation se situe entre 11 924 et 19 889 créateur·trices numériques en équivalent temps complet (ETC) 28. Un multiplicateur est ensuite utilisé pour estimer le nombre de travailleur·euses de la chaîne d’approvisionnement d’une industrie qui reçoivent des avantages financiers de chaque travailleur·euses du secteur étudié. Dans notre contexte spécifique, ces industries adjacentes comprennent la production d’équipement, l’ingénierie logicielle, la publicité, le marketing, les relations publiques, les voyages et d’autres secteurs de biens et de services en rapport avec le travail des créateur·trices. L’estimation pour cet écosystème plus large d’entreprises et de fournisseurs est de 45 132 à 75 279 emplois ETC canadiens. La contribution au PIB canadien associée à cette fourchette de chiffres se situe entre 2,6 et 4,3 milliards de dollars canadiens.

COUP D’ŒIL SUR L’AVENIR

Maintenant que nous avons une estimation de la contribution de l’écosystème canadien des créateur·trices numériques au PIB, nous pouvons nous demander comment cet écosystème pourrait évoluer. Selon des analystes de Goldman Sachs Research, « à mesure que l’écosystème se développe, le marché total de l’économie [mondiale] des créateurs pourrait doubler au cours des cinq prochaines années pour atteindre 480 milliards de dollars d’ici 2027, contre 250 milliards de dollars [US] aujourd’hui… Les dépenses en marketing d’influence et les remises des plateformes, alimentés par la monétisation des plateformes vidéo de formats courts via la publicité, seront les principaux moteurs de croissance de l’économie des créateurs » 29.

Cette estimation provient d’un taux annuel composé de 10 à 20 % appliqué aux cinq prochaines années. Si l’on veut faire davantage de comparaisons, il est intéressant de se pencher sur le taux de croissance de la publicité au sens large. Ce secteur comprend les revenus publicitaires numériques partagés sur des plateformes telles que YouTube, qui constituent une petite partie des sources de revenus de la plupart des créateur·trices (entre 5 et 10 %), mais il comprend également les contrats de marque et les commandites, qui représenteraient environ 70 % de leurs revenus 30.

Brian Wieser est analyste à Madison and Wall, une firme de consultation stratégique sur les médias qui offre des prévisions et analyses pour l’industrie américaine de la publicité. Récemment, il annonçait les taux de croissance estimés suivants : aux États-Unis, l’industrie de la publicité est actuellement évaluée à 360 milliards de dollars, soit 40 % du marché mondial. On s’attend à un taux de croissance annuel de 5 %, les plateformes numériques devraient représenter 64 % de toute la publicité à la fin de 2023, et les revenus de la publicité des plateformes numériques devraient augmenter de 11 % 31.

« La publicité numérique en général est essentielle pour l’économie des créateurs parce que ceux que nous appelons les créateurs — qui commencent presque tous à une petite échelle — œuvrent principalement dans des environnements numériques, car ce sont les mieux adaptés aux créateurs, grands ou petits. Bien que la publicité ne doive pas être la seule source de revenus, les approches basées sur les services payants, l’abonnement et l’affiliation n’ont pas la même ampleur pour ces types de producteurs de contenu. En revanche, comme les environnements numériques peuvent regrouper les budgets publicitaires de plusieurs annonceurs, la publicité numérique est alors en mesure de soutenir ces annonceurs de façon exponentielle. Dans ce contexte, les prévisions sont importantes dans la mesure où elles peuvent aider à définir la croissance des réserves potentielles de budgets pour financer les créateurs à l’avenir. » 32

— Brian Wieser

NOTES

  1. https://www.complex.com/pop-culture/a/nathan-sing/linda-dong-tiktok-star-feature
  2. https://www.narcity.com/vancouver/ex-movie-theatre-worker-now-makes-a-living-on-tiktok-heres-how-she-did-it
  3. https://www.thesun.co.uk/tvandshowbiz/22590403/who-is-tiktok-star-ricky-berwick/
  4. Vous trouverez les détails de cette estimation, calculée pour Perspectives 2023, dans la section des retombées économiques de ce rapport.
  5. Certaines plateformes en comptent des centaines de millions (ex.: Twitter/X, Snapchat, Pinterest) et d’autres se situent dans les milliards (ex.: YouTube, Facebook, Instagram).
  6. https://www.theguardian.com/music/2023/sep/08/how-taylor-swift-became-the-worlds-biggest-pop-star-again
  7. https://worldpopulationreview.com/country-rankings/cell-phones-by-country
  8. https://www.statista.com/statistics/472054/smartphone-user-penetration-in-canada/
  9. https://www.statista.com/statistics/444870/scripted-primetime-tv-series-number-usa/
  10. https://www.statista.com/statistics/1356920/scripted-unscripted-tv-svod-originals-us/
  11. https://www.oberlo.com/blog/youtube-statistics
  12. https://www.globalmediainsight.com/blog/youtube-users-statistics/
  13. https://influencermarketinghub.com/tiktok-stats/
  14. https://venturebeat.com/games/twitch-state-of-the-stream-june-2023-streamelements-viewership/
  15. https://www.indiewire.com/features/general/what-netflix-disney-streamers-spend-on-content-2023-1234819665/
  16. https://www.pipersandler.com/teens
  17. https://datareportal.com/reports/digital-2023-canada
  18. https://www.thinkwithgoogle.com/marketing-strategies/video/youtube-connectedtv-streaming/
  1. https://www.insiderintelligence.com/content/almost-half-of-youtube-viewership-happens-on-tv-screens
  2. https://www.nielsen.com/news-center/2023/nielsens-state-of-play-report-delivers-new-insights-as-streamings-next-evolution-brings-content-discovery-challenges-for-viewers/
  3. https://dz.youtubers.me/canada/all/top-1000-youtube-channels-in-canada/en
  4. Cette estimation, calculée pour Perspectives 2023, est détaillée dans l’Annexe, à la fin de cet article.
  5. https://signalfire.com/creator-economy/
  6. https://linktr.ee/creator-report/#Chapter-1
  7. Des études telles que l’Enquête de référence sur les revenus des créateur·trices (2022 Creator Earnings Benchmark Survey) révèlent que les créateur·trices qui déclarent travailler à plein temps à la création de contenu ne sont que 35 % à déclarer gagner 50 000 $ US ou plus par an après avoir développé leur public pendant plus de quatre ans.
    Voir: https://influencermarketinghub.com/creator-earnings-benchmark-report/
  8. https://www.goldmansachs.com/intelligence/pages/the-creator-economy-could-approach-half-a-trillion-dollars-by-2027.html
  9. Stuart Cunningham et David Craig, Creator Culture: An Introduction to Global Social Media Entertainment (New York: NYU Press, 2021), pp. 5–6.
  10. Les hypothèses sur l’emploi en équivalent temps complet sont basées sur une étude de Statistique Canada, Revenu des particuliers selon le groupe d’âge, le sexe et la source de revenu, Canada, provinces et certaines régions métropolitaines de recensement, tableau 11-10-0239-01, 2 mai 2023 https://doi.org/10.25318/1110023901-eng.
  11. https://www.goldmansachs.com/intelligence/pages/the-creator-economy-could-approach-half-a-trillion-dollars-by-2027.html
  12. https://www.goldmansachs.com/intelligence/pages/the-creator-economy-could-approach-half-a-trillion-dollars-by-2027.html
  13. https://www.marketingdive.com/news/ad-spend-growth-digital-advertising-madison-wall/693224/
  14. Entrevue de Brian Wieser avec Leora Kornfeld, pour Perspectives, septembre 2023.

ANNEXE

La fourchette de chiffres fournie dans ce rapport est basée sur une série d’hypothèses détaillées ci-dessous. La première hypothèse est que la taille de l’économie canadienne représente environ 10 % de celle de l’économie américaine. De plus, on suppose que l’on trouve la même proportion de créateur·trices numériques au Canada qu’aux États-Unis.

Si plusieurs études tentent de mesurer la communauté des créateur·trices aux États-Unis ou dans le monde, une seule se concentre sur les créateur·trices numériques qui font l’objet du présent rapport. Cette étude, intitulée Taking Root: The Growth of America’s New Creative Economy, a été commandée par la Re:Create Coalition en 2017 et dirigée par l’économiste Robert Shapiro avec Siddhartha Aneja 1. Parmi les autres études analysées, on ignore combien tiennent compte de la présence en ligne des grands médias, de CBC à la BBC en passant par CNN, ainsi que des chaînes des grand·es artistes de la musique ou d’autres célébrités ayant des milliards de visionnements. Cela pourrait fausser les chiffres sur le nombre et les revenus de créateur·trices purement numériques. Ainsi, les chiffres significativement plus élevés attribués à ce que les études appellent les « créateur·trices » peuvent être inexacts.

La première analyse porte sur l’étude de 2017 de Robert Shapiro 2. Attribuant des revenus aux créateur·trices sur chacune des neuf plateformes de l’économie des créateur·trices alors en vogue, l’étude a estimé qu’il y avait 123 539 emplois ETC. Il convient de noter que, outre les types de créateur·trices numériques visés par le présent rapport, l’étude de Re:Create comprend également les vendeur·euses en ligne sur eBay, Amazon et Etsy, les auteur·trices en ligne utilisant WordPress et l’autoédition Amazon, ainsi que les designers numériques utilisant la plateforme d’impression en 3D Shapeways. Lorsque ces six catégories sont retirées du total pour s’aligner sur la définition de créateur·trice numérique utilisée dans ce rapport, le nombre de l’étude de Re:Create diminue de 30,4 % à 85 987, ce qui fait que l’estimation canadienne des ETC pour la même année est de 8 598, en utilisant l’hypothèse mentionnée précédemment selon laquelle l’économie canadienne représente généralement 10 % du total américain.

Comment cette estimation de 8 598 emplois ETC devrait-elle être ajustée pour tenir compte de la croissance de 2017 à aujourd’hui ? L’étude de Re:Create estime à 17 % la croissance de l’économie des créateur·trices entre 2016 et 2017. L’estimation de la croissance peut être mise à jour de plusieurs manières. Tout d’abord, nous pourrions supposer que la croissance de 17 % par an se maintient pendant six ans, jusqu’en 2023. Ce taux de croissance peut sembler remarquablement élevé, mais il est étayé par les données d’Adobe 3, de Stripe 4 et de Goldman Sachs 5. Ainsi, Goldman Sachs prévoit un taux de croissance annuel composé (TCAC) de 10 à 20 % pour les cinq prochaines années. Le chiffre de Re:Create peut donc être mis à jour avec un TCAC moyen de 15 % par an pour arriver à un chiffre de 19 889 créateur·trices numériques en ETC. Toutefois, un rapport de 2018 sur l’économie numérique basée sur l’Internet réalisé par le Bureau américain de l’analyse économique (BEA) estimait le taux de croissance annuel à 5,6 % entre 2006 et 2016 pour l’économie numérique en général 6. Si l’on applique ce taux de croissance annuel du BEA pour ajuster les chiffres de l’étude de Re:Create jusqu’en 2023, le nombre de créateur·trices numériques canadien·nes ETC s’élève alors à 11 924.

La deuxième analyse réalisée pour ce rapport porte sur une étude menée en 2020 par le fonds de capital-risque Signalfire 7. Le chiffre de 50 millions avancé par ce fonds est fréquemment cité dans les articles et les rapports sur l’économie des créateur·trices, dont un récemment rédigé par Richard Florida, professeur à l’Université de Toronto, intitulé The Rise of the Creator Economy 8. Malgré cette estimation généreuse du nombre des créateur·trices dans le monde, cette étude est moins utile pour nos objectifs, car elle ne fournit aucune base pour traduire les participant·es autoproclamé·es à l’économie créative en nombre d’ETC. Le rapport Signalfire énumère deux types de « créateur·trices individuel·les » : le premier groupe, estimé à plus de deux millions de personnes dans le monde, est considéré comme « professionnel » et crée du contenu à temps plein; le second groupe, estimé à 46,7 millions de personnes, est qualifié d’« amateur ». Dans les deux cas, les créateur·trices sont définis par leur nombre d’abonné·es, et il n’y a aucun moyen de déterminer s’il s’agit d’individus ou de sociétés disposant de comptes ou de chaînes sur les diverses plateformes.

Par ailleurs, deux études examinent le paysage canadien de la création numérique. Elles ont également été consultées pour le présent rapport, mais ont été utilisées dans une moindre mesure. Les deux études portent uniquement sur YouTube et ont été financées par Google (aujourd’hui Alphabet), la société mère de YouTube. Les deux études canadiennes sont celles d’Oxford Economics sur YouTube au Canada 9 et de Watchtime Canada 10 réalisée par une équipe de l’Université métropolitaine de Toronto en 2019. Oxford Economics a estimé que les créateur·trices canadien·nes de YouTube et l’écosystème associé représentaient 35000 ETC et une contribution au PIB de 2 milliards de dollars. Pour estimer la contribution au PIB dans ce rapport, les ratios d’Oxford Economics ont été appliqués pour les créateurs·trices et les emplois induits au PIB. Dans le rapport de Watchtime Canada, « les créateurs de YouTube sont définis par YouTube comme toute personne qui télécharge une vidéo». De nombreuses personnes qui ne sont pas nécessairement des créateur·trices numériques téléchargent des vidéos sur YouTube — des personnes qui téléchargent des vidéos du récital de ballet de leur enfant, par exemple. La définition peut également inclure les chaînes d’artistes canadien·nes bien connu·es tels que Drake, Justin Bieber, Shania Twain, Avril Lavigne et Nickelback, qui comptent parmi les chaînes YouTube canadiennes les plus regardées. Autre exemple : la chaîne YouTube de l’acteur canadien Ryan Reynolds compte plus de quatre millions d’abonné·es et plus de 700 millions de visionnements. On y trouve des extraits et des bandes-annonces de ses films, mais aussi de courtes vidéos divertissantes. On peut donc se demander si le type de contenus publiés sur la chaîne de M. Reynolds devrait être inclus dans le décompte des créateur·trices numériques canadien·nes tel qu’il est établi par Watchtime Canada.

Après un examen minutieux des études existantes, nous avons consulté les travaux de l’économiste Josh Bivens sur le concept d’un « multiplicateur » dans l’analyse de l’impact économique global des industries et de leur contribution au PIB. Un multiplicateur offre une estimation du nombre de travailleur·euses nécessaire dans la chaîne d’approvisionnement d’une industrie pour soutenir le travail d’un·e seul·e travailleur·euse du secteur étudié. Comme l’explique Bivens : « La production dans un secteur économique donné implique des liens avec d’autres secteurs — c’est-à-dire que la production dans une industrie dépend de fournisseurs dans d’autres industries (liens en amont), tandis que les salaires gagnés dans les secteurs de la production et des fournisseurs sont dépensés dans d’autres secteurs économiques (liens en aval) » 11. Dans le contexte de l’économie des créateur·trices, de tels liens peuvent comprendre des travailleur·euses dans des secteurs allant de la production d’équipements à l’ingénierie logicielle, en passant par la publicité, le marketing, les relations publiques, le voyage et d’autres secteurs de biens et de services en rapport avec le travail des créateur·trices.

Pour convertir la fourchette estimée de 11 924 à 19 889 créateur·trices numériques canadien·nes ETC en une contribution au PIB, nous avons utilisé 12 le multiplicateur de Bivens de 3785 pour la catégorie Arts, spectacles et loisirs, pour arriver à un total entre 45 132 et 75 279 emplois ETC canadiens dans l’écosystème plus large des créateur·trices numériques, ce qui comprend les secteurs industriels et les communautés qui bénéficient des retombées économiques des activités de ces créateur·trices numériques au Canada. La contribution au PIB canadien associée à cette fourchette de chiffres se situe entre 2,6 et 4,3 milliards de dollars canadiens.

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