Coordonnateurs verts, ces gardiens écolos sur les plateaux
Ils réutilisent les décors, trient les poubelles, s'assurent que le maquillage est non toxique et que toutes les bouteilles d’eau soient réutilisables. Entre autres. Bienvenue dans le merveilleux monde des « coordonnateurs verts », ces nouveaux membres d’une équipe de tournage responsables de verdir les plateaux.
Le tournage d’un film ou d’une série est une grande aventure dans laquelle des créateurs voient une œuvre – et bien souvent un rêve – se réaliser. Mais derrière chaque plateau se cachent aussi des décors, des costumes, du maquillage, des génératrices, une équipe à nourrir… Tout cela entraîne beaucoup de déchets et nécessite une quantité importante d’énergie – un côté sombre de l’industrie, dont on parle peu.
Selon Ecoprod, une association française qui œuvre pour des pratiques écoresponsables dans l’industrie audiovisuelle, le tournage d’un seul long métrage génère en moyenne 1 000 tonnes d’équivalent CO2, ce qui équivaut à 10 000 allers-retours entre Montréal et Toronto en avion.
Pour réduire ce lourd impact environnemental, de plus en plus de productions se tournent vers les services de « coordonnateur vert ».
« C’est la personne qui est responsable de respecter les objectifs écologiques ou écoresponsables d’une production et de faire le suivi avec les chefs de départements », explique Louis Cabanac, qui a récemment joué ce rôle sur le plateau de tournage du film québécois Mille secrets mille dangers, de Philippe Falardeau, dont la sortie est prévue plus tard cette année.

Certains l’appellent « coordonnateur », mais le titre n’est pas encore bien défini et peut varier d’un projet à l’autre.
« C’est une nouvelle partie de notre industrie qui se développe, et c’est très excitant », constate Melanie Windle, cofondatrice et directrice générale de Sustainability Entertainment Society, un organisme canadien à but non lucratif, dont la mission est d’accélérer le développement durable dans le domaine des arts, de la culture et du divertissement.
« Il y a beaucoup de discussions en ce moment pour faire croître ce domaine, poursuit Mme Windle, jointe à Los Angeles alors qu’elle participait à la Semaine sur le climat. Nous allons chercher les talents d’autres industries, comme les sciences de l’environnement ou la gestion de la durabilité ; des gens qui n’auraient jamais pensé faire carrière dans le divertissement! »
Même si elle admet que c’est encore un peu le « Far West » sur les plateaux, sa collègue Zena Harris, fondatrice et présidente du Green Spark Group, une firme- conseil spécialisée en développement durable dans le domaine du divertissement et établie dans l’Ouest canadien, assure que son équipe et elle travaillent ardemment à développer des balises claires et des descriptions de tâches plus cohérentes qu’à l’heure actuelle.
Travailler en amont
Le travail d’un coordonnateur vert commence habituellement avant même le tournage. C’est par exemple en préproduction que l’horaire de Mille secrets mille dangers a été réfléchi pour éviter que les camions, habituellement déplacés à la fin de chaque journée de tournage, roulent inutilement. « Le soir, on les laissait sur place et on engageait un surveillant. On économisait du temps de voyagement, des techniciens, qui sont souvent en temps supplémentaire, et de l’essence », explique Louis Cabanac.
Ce dernier était aussi responsable de faire respecter les exigences du programme québécois On tourne vert pour que la production puisse recevoir l’accréditation la plus élevée – un défi relevé haut la main. Ce plan d’action, mis sur pied en 2021 par le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec, le Conseil québécois des événements écoresponsables et Québecor, invite les productions à mettre en place des actions durables pendant le tournage, parmi une liste préétablie, qui permettent d’accumuler des points.
Sur le plateau de Mille secrets mille dangers, aucune boisson emballée n’était admise. L’eau et tous les rafraîchissements se trouvaient dans de grosses cuves et les membres de l’équipe devaient avoir leur bouteille réutilisable. Les couverts offerts par le traiteur étaient réutilisables.
Pour la coiffure et le maquillage, le défi était de taille. Comme le film met en scène un mariage, il y avait toujours entre 20 et 30 comédiens sur le plateau – et jusqu’à 150 figurants pour certaines scènes. Les produits cosmétiques devaient être non toxiques, biologiques et sans cruauté animale. Exit l’achat d’aérosols à base d’huile minérale et les lingettes jetables. L’équipe devait en outre favoriser des produits en vrac ou peu emballés.
Jouer dans les poubelles
Deux fois par jour – pendant les 36 jours de tournage – Louis Cabanac récoltait l’ensemble des déchets, vidait le contenu des poubelles, du recyclage et du compost et pesait chaque catégorie de déchets. Ensuite, il enlevait ceux qui étaient mal triés, avant de procéder à une seconde pesée. La différence entre les deux nombres lui donnait le taux de contamination, qu’il partageait à On tourne vert et dans ses communications avec son équipe.
« J’ai poussé ça à un niveau qu’On tourne vert n’avait pas vu venir », raconte-t-il en riant.

Même si certaines mesures ont pu créer du mécontentement au début, l’effort commun a laissé place à un élan de solidarité. Louis Cabanac a même créé un thermomètre pour suivre au quotidien les efforts de l’équipe et les aider à atteindre le fameux seuil de 90 points.
« Il y a beaucoup de gens qui sont venus me voir parce qu’ils étaient écoanxieux sur le plateau, et ça leur faisait beaucoup de bien de voir la rigueur que j’avais », relate-t-il.
Un pour tous, tous pour un
Zena Harris croit toutefois qu’un coordonnateur vert ne devrait pas servir à trier les déchets ; c’est selon elle du « gaspillage » de talent. Il devrait plutôt coordonner les activités avec le département qui gère les déchets.
Idéalement, une production devrait avoir un département dédié à la durabilité avec, par exemple, un conseiller (embauché en amont du tournage), un superviseur et un coordonnateur sur le terrain. Mais aucune production n’est pareille, souligne Zena Harris.
« Au lieu qu’une personne prenne tout en charge, le département de durabilité crée les conditions pour que l’ensemble de l’équipe réussisse dans la décarbonisation et la durabilité », croit Melanie Windle.
Écoresponsable et… plus cher?
Faire des choix écoresponsables peut parfois coûter plus cher, notamment dans le choix des matériaux. Mais le directeur de production de Mille secrets mille dangers, Pascal Bascaron, est catégorique : la plupart des gestes posés nécessitent surtout un changement d’habitude et peu ou pas de réinvestissement. La boîte de production Micro_scope a consacré seulement 1% de son budget au plan vert, incluant le salaire de Louis Cabanac.
La dépense principale a été l’achat d’une génératrice hybride – un montant de 12 000$ – pour alimenter les neuf roulottes sur le plateau. La consommation y est passée de 24 heures sur 24 à environ 3 heures par jour, ce qui a permis à la production de récupérer plus de 60% de cette somme en économie d’énergie.
Melanie Windle et Zena Harris ont toutes deux constaté que tous les conférenciers de la Semaine du climat de L.A. abondaient en ce sens : les mesures pour réduire l’empreinte carbone sur les plateaux apportent des réductions de coûts importantes.
Un conférencier a même expliqué comment un seul décor avait servi pour quatre productions différentes à Toronto et à Los Angeles, passant d’un cabinet de dentiste à un bureau, à une salle de cour puis à un hôtel.
« Oui, notre industrie est polluante, admet Melanie Windle. Cependant, elle est innovante et bouge rapidement. Elle est composée de personnes et de leur talent, de leur dynamisme et de leur passion. Nous avons donc la possibilité de décarboniser et de changer nos pratiques, en apprenant les uns des autres. »